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Géopolitique et géostratégie
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Géopolitique et géostratégie
Quelques réflexions
Apparue au début du siècle, la géographie politique a connu un développement rapide jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, puis a pratiquement disparu dans les milieux universitaires en Europe occidentale. Elle n’était plus guère pratiquée qu’aux Etats-Unis, où la place qu’elle tenait était médiocre. Cette défaveur tenait au nouvel équilibre mondial, marqué par la prépondérance de deux superpuissances et par les équilibres de dissuasion liés à l’arme nucléaire qui semblaient rendre caduques les formes plus traditionnelles de conflit. Mais l’effacement de la géographie politique venait aussi des outrances de la géopolitique, disparue avec le nazisme avec lequel elle s’était compromise. Seuls les régimes d’extrême-droite d’Amérique latine osaient encore se réclamer d’enseignements condamnés partout ailleurs. La stratégie intéressait les militaires et les hommes d’Etat, qui essayaient de comprendre les nouvelles conditions de la vie internationale, de mesurer les risques qui lui étaient inhérents, et de choisir la meilleure voie pour assurer la sécurité de leur pays. Le grand public ignorait ces spéculations.
Les conditions ont complètement changé depuis quinze ans. Le terme de géopolitique a refait surface, relancé en France par Marie-France Garraud et par Yves Lacoste. Dans le même mouvement, la réflexion stratégique s’élargissait. On s’est mis à opposer la grande stratégie, celle des politiques, à la stratégie des généraux ou des amiraux. D’autres préfèrent parler de géostratégie pour désigner le niveau supérieur.
On dispose donc aujourd’hui de trois termes pour désigner l’ensemble des aspects spatiaux des faits politiques. La géographie politique attire de plus en plus les étudiants. La géopolitique moderne n’évoque plus les errements de certains collègues allemands. La stratégie est à ce point populaire que nombreux sont les libraires qui lui consacrent aujourd’hui un rayon. Quels sont les rapports entre ces trois domaines ? Convient-il de garder ces trois termes, ou y-a-t-il intérêt à simplifier le vocabulaire ? Pour répondre à ces questions, il convient de préciser quel sens donnent à ces termes aujourd’hui ceux qui se réclament de la géographie politique, de la géopolitique et de la géostratégie.
La gÉographie politique
Friedrich Ratzel était à la fois ethnologue et géographe. Le contraste entre les sociétés primitives, émiettées en tribus, et les Etats modernes le frappait. N’était-ce pas par l’aptitude à structurer des groupes nombreux et à organiser de vastes espaces que le progrès se manifestait le mieux ? La géographie politique qu’il créa avait pour but d’analyser la manière dont les peuples s’identifient à un territoire national, l’exploitent, l’organisent pour le défendre et s’arrangent pour l’agrandir.
La géographie politique de la première moitié du XXe siècle ne fait guère d’efforts pour affiner ses bases théoriques. C’est une science de l’Etat. Elle retrace la genèse des différents pays et la manière dont ils ont été rassemblés, autour d’une capitale, par un meneur d’hommes charismatique ou par une dynastie tenace. Les frontières retiennent longuement l’attention. Ne sont-elles pas à la source de la plupart des tensions internationales du monde moderne ? Ne voit-on pas à l’œuvre, en reconstituant leur évolution, les forces qui modèlent l’espace ? On s’attache peu à la manière dont s’organise la vie politique au sein de chaque pays, et à la façon dont les gouvernements contrôlent effectivement le territoire sur lequel ils exercent des droits souverains. Mais dans le Tableau politique de la France de l’Ouest, André Siegfried jette, dès 1913, les bases de la géographie électorale.
Lorsqu’elle excède le cadre national, la géographie politique dresse le constat des rivalités, des tensions et des déséquilibres qui caractérisent les relations entre nations. Certains Etats englobent des minorités irrédentistes ou sont rongés par des conflits internes. Leur économie est fragile et si dépendante des importations, dans certains secteurs-clefs de l’économie, qu’ils sont à la merci du moindre chantage venant de pays mieux dotés, ou capables de contrôler les flux ou les places par lesquels cheminent les approvisionnements. André Siegfried excelle, en France, dans ce genre d’analyse : il y reprend et développe une tradition qui remonte à Tocqueville. Albert Demangeon montre ce qui, dans la puissance britannique, résulte de la naissance d’un esprit impérial et de l’aptitude à créer des bureaucraties capables de maîtriser des territoires dispersés sur l’ensemble de la planète. Jacques Ancel retrace la genèse des Etats balkaniques, la nature des noyaux autour desquels ils sont nés, leurs phases d’épanouissement, leurs périodes de rétraction, et les difficultés qu’ils rencontrent pour s’intégrer à l’économie moderne.
Cette géographie politique est très empirique. Elle est proche de la géographie régionale, à laquelle elle emprunte, en France, et depuis Vidal de la Blache, sa manière de comprendre les fondements de la personnalité de chaque territoire. Les monographies fournissent les bases d’une connaissance raisonnée des forces que la politique met à l’œuvre pour structurer l’espace, mais aucun effort n’est fait pour la systématiser. Le premier à le faire, c’est Jean Gottmann, dans son livre sur La politique des Etats et leur géographie, en 1952. Mais cet essai vient au creux de la vague, au moment où la géographie politique n’est plus à la mode. Les termes employés pour synthétiser les apports de la géographie politique sont mal choisis, tel celui d’iconographie, qui ne parle pas à la majorité des lecteurs. Il aurait été beaucoup plus clair de parler de l’image que les gens d’un pays se font d’eux-mêmes et de leurs voisins.
Le déclin de la géographie politique entre 1945 et 1970 n’aurait pas été si profond si le contenu de la discipline avait été mieux structuré. Le renouveau vient de l’anthropologie et de la sociologie politiques. L’attention se portait traditionnellement bien davantage vers les questions de droit constitutionnel que vers le fonctionnement des institutions politiques. L’optique change à partir des travaux de Max Weber. On étudie le pouvoir tel qu’il s’exerce, et non plus tel qu’il devrait être. On apprend à distinguer le jeu de la puissance pure, de l’autorité, du contrôle et des diverses formes d’influence dans la vie politique des Etats, et à voir comment l’éloignement les mine. Une géographie générale des forces à l’œuvre dans la vie politique des Etats s’élabore ainsi : j’ai essayé d’en dresser l’état dans Espace et pouvoir à la fin des années 1970. L’effort de systématisation porte alors sur la géographie politique des Etats. La recherche s’oriente depuis vers la vie internationale, les champs de force que chaque pays crée au delà de ses frontières, les représentations qu’il se fait de l’étranger, et les formes de relations qui se développent là où le recours à la violence n’est le monopole de personne. La curiosité est sollicitée à la fois par les faits militaires, sur lesquels la littérature abonde, et par les formes de coopération qui se diversifient à un rythme rapide depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Les transformations de la scène économique et la mondialisation des échanges sont souvent évoquées tant elles ont de conséquences sur la vie politique. A l’heure où les filières de production s’internationalisent et où les multinationales occupent une place croissante dans la production et dans la distribution, l’autorité économique des Etats traditionnels est remise en question : leurs attributions vont-elles passer à de nouvelles structures fédérales, du type de la communauté économique européenne ? va-t-on
au contraire vers une dissolution de l’Etat au profit d’unités plus petites ? Ce sont là des questions passionnantes pour l’avenir du monde.
La géographie politique contemporaine s’inscrit dans la logique générale des sciences sociales : elle discerne des forces et voit quelle part elles prennent au façonnement du réel. Chez les spécialistes de la politique, on est convaincu du rôle des décideurs, souvent d’une petite poignée ou d’un seul, dans les événements. Mais c’est aux contraintes qui pèsent sur les hommes, et aux mécanismes qui font sortir, des choix individuels, des conséquences imprévues et souvent non désirées que l’on s’intéresse surtout.
La gÉopolitique
La distinction entre géographie politique et géopolitique au moment où celle-ci entre en scène, après la première guerre mondiale, est souvent ténue. L’une et l’autre étudient de manière empirique des situations concrètes, et beaucoup d’auteurs ne font guère de distinction entre les deux domaines. On parle cependant plutôt de géopolitique lorsqu’on essaie de dégager, de l’analyse que l’on mène. des conseils pour l’action. C’est tout ce que l’on peut dire.
La géopolitique connaît le succès dans l’Allemagne d’après le traité de Versailles. Elle est une des manifestations du mouvement de refus de ce que l’on considère alors comme un diktat imposé par les vainqueurs. Pour sortir la patrie de la déchéance, il importe d’examiner les problèmes politiques dans l’optique des intérêts allemands, et de proposer aux hommes d’Etat à la tête du pays une réflexion qui puisse les guider dans leurs choix. La géopolitique à l’allemande est donc une réflexion sur les équilibres internationaux et sur la manière de mener une action qui permette au peuple allemand d’accomplir son destin : il y a une dimension philosophique inhérente à cette géopolitique. Elle ne fait qu’exalter, comme l’a récemment rappelé le général Gallois, une tradition inaugurée par Herder, développée par les maîtres à penser du début du XIXe siècle et sans laquelle on ne comprendrait pas l’évolution des pays Outre-Rhin depuis la révolution.
On parle beaucoup de la géopolitique allemande entre les deux guerres mondiales, mais on ignore les réflexions parallèles menées dans d’autres pays. Il y a en France, par exemple, une géopolitique : elle n’essaie pas de dire quelle assise territoriale convient à la nation française, mais de préciser comment un pays aussi divers que le nôtre par son peuplement peut constituer une unité. Comme celle-ci apparaît achevée, l’expansion n’est pas de mise, si ce n’est outre-mer. Comme l’a montré Geoffrey Parker, la géopolitique française essaie de fournir aux hommes d’Etat des éléments en faveur de la coopération internationale et de la création d’unions entre Etats. En ce sens, elle annonce la construction de l’Europe dans les années 1950. C’est dire qu’elle n’est pas aussi utopique que certains le disaient à l’époque.
Lorsque la géopolitique renaît, après 1975, elle retrouve certains de ses traits antérieurs : elle a toujours pour but de saisir la vie politique dans ses dimensions réelles, et ceci, afin d’éclairer les citoyens et les hommes d’Etat sur les enjeux des confrontations qui se développent dans le monde. Elle prend volontiers partie. Pour ceux qui entourent Marie-France Garraud, la sécurité internationale est au cœur des préoccupations. L’inquiétude était vive, dans beaucoup de milieux, au début des années 1980, à la vue des programmes d’armement des pays de l’Est. Quelle réponse leur fournir à l’Ouest ? Tel était le problème central. Pour Yves Lacoste et les collaborateurs d’Hérodote, l’accent est d’abord mis sur les confrontations Nord/Sud et sur les problèmes de développement. Tous les points chauds du monde retiennent l’attention : quels sont les intérêts en présence, les acteurs, les mentalités des adversaires, ou de ceux qui se trouvent, par le hasard des alliances, supporter la même cause ? Les problèmes de politique intérieure sont abordés dans la même optique. A l’occasion d’une consultation électorale, ce sont les mouvements politiques qui sont analysés, avec leurs militants et leurs leaders locaux, et avec les interventions menées depuis Paris par les états-majors. Chaque campagne est ainsi replacée dans le cadre des mentalités locales, des notables et de leurs dynasties, ou des équipements auxquels le nom de tel ou tel personnage influent est associé. Elle est saisie dans l’optique des différents protagonistes, des groupes qui cherchent protection et sécurité, des ambitions personnelles et des carrières individuelles. Ce ne sont pas des forces abstraites, un peu désincarnées que l’on repère, mais tout un complexe d’intérêts souvent contradictoires mais étroitement mêlés. C’est de ces informations que l’on a besoin si l’on veut comprendre l’issue des confrontations électorales, et ce qu’elles mettent réellement en jeu.
La géopolitique se distingue ainsi de la géographie politique par une optique plus concrète. Elle fuit les perspectives comparatives, qui permettent d’isoler un facteur et de mesurer son impact sur une série de cas par ailleurs dissemblables. Elle est volontiers monographique. Ce qu’elle cherche en effet, c’est à reconstituer l’environnement exact des situations politiques : elle fournit l’ensemble des informations qui éclairent les décisions prises par les acteurs immergés dans l’événement. Elle apprend à celui qui s’insère dans une évolution complexe les intérêts, les ambitions et les représentations en jeu.
La géopolitique ainsi conçue est vivante. Elle passionne un large public que les travaux plus abstraits de la géographie politique laissent froid. On a toujours eu besoin d’exemples commentés pour comprendre le monde. On les cherchait autrefois chez les historiens, chez Thucydide, chez Tite-Live, chez Quintilien. La géopolitique renoue avec cette tradition.
La gÉostratÉgie
La stratégie est aussi vieille que les armées et que les Etats : les généraux réfléchissent aux manœuvres qui leur permettront de surprendre leurs adversaires et de les défaire ; les hommes d’Etat essaient d’arrondir leurs possessions de façon à contrer les visées expansionnistes de tel ou tel voisin, à contrôler une voie de passage, ou à permettre une conquête future. Le problème, pour l’homme d’action, n’est pas de prendre la mesure des forces qui limitent sa liberté de choix : il ne connaît que trop le faible nombre et/ou le manque de valeur de ses sujets, les lacunes de ses ressources et les déficiences des infrastructures dont son territoire est doté. Ce qui compte pour lui, c’est de comprendre la logique qui inspire son adversaire, de prévoir ses mouvements, de saisir ses objectifs et de mesurer à partir de quel seuil il va réagir aux informations qu’il reçoit et le préviennent d’un danger. L’action se développe toujours dans des environnements incertains. Celui qui décide n’a pas les moyens de connaître tous les paramètres, d’évaluer tous les risques. En politique, une partie de ce que l’on aimerait connaître est volontairement caché par ses adversaires : les moyens dont on dispose perdraient de leur efficacité si tout le monde savait quand et comment ils vont être mis en œuvre.
La pensée stratégique se présente donc comme une initiation à la décision lorsque celle-ci se développe dans un environnement incertain et hostile dans lequel il importe d’évaluer sans cesse les réactions de l’ennemi et de manœuvrer en l’empêchant de mobiliser, de concentrer ou d’utiliser ses forces de manière efficace. La stratégie militaire a toujours une dimension géographique : elle implique le choix d’objectifs susceptibles de réduire la capacité de résistance de l’ennemi, occupation de provinces indispensables au ravitaillement des populations ou à la fabrication des armements, contrôle des voies de communication essentielles, prise de possession de lieux hautement symboliques, conquête des forteresses qui mettent les forces adverses à l’abri des surprises. Les manœuvres indispensables pour parvenir à ces objectifs se préparent sur la carte, en jouant sur la capacité de mouvement de ses forces, et en faisant en sorte que l’adversaire ignore le plus longtemps possible le sens des déplacements que ses éclaireurs rapportent.
Réflexion sur la décision en climat d’incertitude, la stratégie a beaucoup en commun avec les jeux, les échecs par exemple. Rien d’étonnant à ce que l’on trouve en Chine quelques-uns des plus anciens textes de réflexion stratégique : ceux de Sun Zi remontent à la période des royaumes combattants, plusieurs siècles avant notre ère. L’Inde et le monde islamique ont vu également fleurir précocement une littérature stratégique. Dans la tradition occidentale, les généraux ont rarement fait part de leur expérience. L’Antiquité n’a guère à nous offrir que La guerre des Gaules, mais César y présente sa campagne beaucoup plus en politique soucieux de justifier les libertés qu’il a prises avec les mandats qui lui étaient confiés qu’en stratège qui fait comprendre ses manœuvres. Il n’y a guère que les historiens qui nous interprètent les campagnes qu’ils nous racontent, et c’est à leurs œuvres que les militaires et les penseurs de la stratégie se réfèrent ensuite volontiers. Geoffrey Parker raconte que les amiraux anglais au début du XIXe siècle alimentaient encore leurs discussions d’exemples pris à Thucydide. Machiavel ou Juste Lippe tirent leur inspiration de Tite Live.
La pensée stratégique n’a jamais été absente en Occident. La manière dont est conçue la conquête des marchés aux épices par le Portugal en est la preuve. A peine l’Inde atteinte et quelques comptoirs créés, Albuquerque porte la guerre dans le golfe Persique pour bloquer le commerce arabe et persan et assurer à Lisbonne le monopole d’un fabuleux trafic. Mais l’effort de systématisation de conduites de ce genre ne devient indispensable que lorsque les armées occidentales mobilisent de tels effectifs que l’apprentissage sur le tas ne suffit plus à former leur encadrement. Les états-majors se généralisent au XVIIIe siècle sur le modèle français ou sur le modèle prussien, selon les pays. C’est à eux que s’adressent les théoriciens modernes de la stratégie, de Guibert à Jomini et à Clausewitz. C’est pour mettre en œuvre les conseils de ce dernier que l’on invente le Kriegspiel, première forme de l’entraînement à la décision en situation d’incertitude.
La vie économique est restée longtemps le fait d’unités relativement menues, si bien que les structures à états-majors ne s’y sont développées que tard, au moment de la révolution industrielle et à la faveur surtout du mouvement de concentration qui s’accélère à partir de 1880. Lorsque les Etats-Unis se lancent dans la première guerre mondiale, ils ont les entreprises les plus puissantes du monde, mais pas encore de formule pédagogique adaptée à la formation de leurs dirigeants. Les cadres mobilisés font l’expérience des jeux stratégiques que l’armée américaine importe de France en même temps qu’une bonne partie des brevets qui lui permettent de se créer une industrie des armements. Une fois la guerre finie, les officiers rendus à la vie civile se rappellent de l’efficacité de la formation que les militaires leur ont fournie. On décide donc de la transposer aux besoins de l’entreprise : c’est l’origine de la méthode des cas de Harvard.
La réflexion stratégique s’épanouit chez les militaires et chez les marins durant le XIXe siècle. Elle est un peu bridée, dans l’armée de terre, par les impératifs politiques de la défense : lorsqu’on se bat pour préserver le territoire national, il n’est pas question d’abandonner du terrain contre des possibilités de regroupement et d’action future. Les marins, que l’expansion coloniale fait évoluer sur des scènes lointaines, ne subissent pas les mêmes contraintes.
La fin du XIXe siècle constitue une période charnière : la stratégie des militaires est déjà l’objet d’une réflexion systématique. Celle que pratiquent les hommes d’Etat, et qui se situe à l’échelle de l’ensemble des fronts d’un pays en cas de guerre, ou de l’ensemble des théâtres où il est bon d’être présent en temps de paix, est encore purement empirique. La signification de travaux comme ceux de l’Amiral Mahan ou de Mackinder, c’est de la faire entrer dans la sphère des recherches académiques.
C’est la seconde guerre mondiale qui donne à la géostratégie sa véritable dimension. A l’heure où il ne reste plus dans le monde que deux superpuissances, l’équilibre se joue à l’échelle de la planète. Chacun des partenaires doit veiller à ses alliances, supputer les mouvements de l’adversaire, les prévenir ou les neutraliser sans mobiliser pour cela des ressources indispensables à son propre développement. La course aux armements donne un tour technique à ces travaux : tout l’équilibre de la planète dépend de la portée et de la précision des missiles que les Américains et les Russes s’ingénient à perfectionner.
La course aux armements, en se poursuivant, aboutit à un renversement imprévu des relations internationales : la dissuasion est si efficace que le risque d’un conflit direct entre puissances dominantes est de plus en plus réduit. Les seules confrontations de force possibles mettent en jeu des armements classiques. On voit du coup refleurir, dans l’analyse géostratégique, des dimensions qui paraissaient oubliées depuis la seconde guerre mondiale.
Par:Paul CLAVAL
Apparue au début du siècle, la géographie politique a connu un développement rapide jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, puis a pratiquement disparu dans les milieux universitaires en Europe occidentale. Elle n’était plus guère pratiquée qu’aux Etats-Unis, où la place qu’elle tenait était médiocre. Cette défaveur tenait au nouvel équilibre mondial, marqué par la prépondérance de deux superpuissances et par les équilibres de dissuasion liés à l’arme nucléaire qui semblaient rendre caduques les formes plus traditionnelles de conflit. Mais l’effacement de la géographie politique venait aussi des outrances de la géopolitique, disparue avec le nazisme avec lequel elle s’était compromise. Seuls les régimes d’extrême-droite d’Amérique latine osaient encore se réclamer d’enseignements condamnés partout ailleurs. La stratégie intéressait les militaires et les hommes d’Etat, qui essayaient de comprendre les nouvelles conditions de la vie internationale, de mesurer les risques qui lui étaient inhérents, et de choisir la meilleure voie pour assurer la sécurité de leur pays. Le grand public ignorait ces spéculations.
Les conditions ont complètement changé depuis quinze ans. Le terme de géopolitique a refait surface, relancé en France par Marie-France Garraud et par Yves Lacoste. Dans le même mouvement, la réflexion stratégique s’élargissait. On s’est mis à opposer la grande stratégie, celle des politiques, à la stratégie des généraux ou des amiraux. D’autres préfèrent parler de géostratégie pour désigner le niveau supérieur.
On dispose donc aujourd’hui de trois termes pour désigner l’ensemble des aspects spatiaux des faits politiques. La géographie politique attire de plus en plus les étudiants. La géopolitique moderne n’évoque plus les errements de certains collègues allemands. La stratégie est à ce point populaire que nombreux sont les libraires qui lui consacrent aujourd’hui un rayon. Quels sont les rapports entre ces trois domaines ? Convient-il de garder ces trois termes, ou y-a-t-il intérêt à simplifier le vocabulaire ? Pour répondre à ces questions, il convient de préciser quel sens donnent à ces termes aujourd’hui ceux qui se réclament de la géographie politique, de la géopolitique et de la géostratégie.
La gÉographie politique
Friedrich Ratzel était à la fois ethnologue et géographe. Le contraste entre les sociétés primitives, émiettées en tribus, et les Etats modernes le frappait. N’était-ce pas par l’aptitude à structurer des groupes nombreux et à organiser de vastes espaces que le progrès se manifestait le mieux ? La géographie politique qu’il créa avait pour but d’analyser la manière dont les peuples s’identifient à un territoire national, l’exploitent, l’organisent pour le défendre et s’arrangent pour l’agrandir.
La géographie politique de la première moitié du XXe siècle ne fait guère d’efforts pour affiner ses bases théoriques. C’est une science de l’Etat. Elle retrace la genèse des différents pays et la manière dont ils ont été rassemblés, autour d’une capitale, par un meneur d’hommes charismatique ou par une dynastie tenace. Les frontières retiennent longuement l’attention. Ne sont-elles pas à la source de la plupart des tensions internationales du monde moderne ? Ne voit-on pas à l’œuvre, en reconstituant leur évolution, les forces qui modèlent l’espace ? On s’attache peu à la manière dont s’organise la vie politique au sein de chaque pays, et à la façon dont les gouvernements contrôlent effectivement le territoire sur lequel ils exercent des droits souverains. Mais dans le Tableau politique de la France de l’Ouest, André Siegfried jette, dès 1913, les bases de la géographie électorale.
Lorsqu’elle excède le cadre national, la géographie politique dresse le constat des rivalités, des tensions et des déséquilibres qui caractérisent les relations entre nations. Certains Etats englobent des minorités irrédentistes ou sont rongés par des conflits internes. Leur économie est fragile et si dépendante des importations, dans certains secteurs-clefs de l’économie, qu’ils sont à la merci du moindre chantage venant de pays mieux dotés, ou capables de contrôler les flux ou les places par lesquels cheminent les approvisionnements. André Siegfried excelle, en France, dans ce genre d’analyse : il y reprend et développe une tradition qui remonte à Tocqueville. Albert Demangeon montre ce qui, dans la puissance britannique, résulte de la naissance d’un esprit impérial et de l’aptitude à créer des bureaucraties capables de maîtriser des territoires dispersés sur l’ensemble de la planète. Jacques Ancel retrace la genèse des Etats balkaniques, la nature des noyaux autour desquels ils sont nés, leurs phases d’épanouissement, leurs périodes de rétraction, et les difficultés qu’ils rencontrent pour s’intégrer à l’économie moderne.
Cette géographie politique est très empirique. Elle est proche de la géographie régionale, à laquelle elle emprunte, en France, et depuis Vidal de la Blache, sa manière de comprendre les fondements de la personnalité de chaque territoire. Les monographies fournissent les bases d’une connaissance raisonnée des forces que la politique met à l’œuvre pour structurer l’espace, mais aucun effort n’est fait pour la systématiser. Le premier à le faire, c’est Jean Gottmann, dans son livre sur La politique des Etats et leur géographie, en 1952. Mais cet essai vient au creux de la vague, au moment où la géographie politique n’est plus à la mode. Les termes employés pour synthétiser les apports de la géographie politique sont mal choisis, tel celui d’iconographie, qui ne parle pas à la majorité des lecteurs. Il aurait été beaucoup plus clair de parler de l’image que les gens d’un pays se font d’eux-mêmes et de leurs voisins.
Le déclin de la géographie politique entre 1945 et 1970 n’aurait pas été si profond si le contenu de la discipline avait été mieux structuré. Le renouveau vient de l’anthropologie et de la sociologie politiques. L’attention se portait traditionnellement bien davantage vers les questions de droit constitutionnel que vers le fonctionnement des institutions politiques. L’optique change à partir des travaux de Max Weber. On étudie le pouvoir tel qu’il s’exerce, et non plus tel qu’il devrait être. On apprend à distinguer le jeu de la puissance pure, de l’autorité, du contrôle et des diverses formes d’influence dans la vie politique des Etats, et à voir comment l’éloignement les mine. Une géographie générale des forces à l’œuvre dans la vie politique des Etats s’élabore ainsi : j’ai essayé d’en dresser l’état dans Espace et pouvoir à la fin des années 1970. L’effort de systématisation porte alors sur la géographie politique des Etats. La recherche s’oriente depuis vers la vie internationale, les champs de force que chaque pays crée au delà de ses frontières, les représentations qu’il se fait de l’étranger, et les formes de relations qui se développent là où le recours à la violence n’est le monopole de personne. La curiosité est sollicitée à la fois par les faits militaires, sur lesquels la littérature abonde, et par les formes de coopération qui se diversifient à un rythme rapide depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Les transformations de la scène économique et la mondialisation des échanges sont souvent évoquées tant elles ont de conséquences sur la vie politique. A l’heure où les filières de production s’internationalisent et où les multinationales occupent une place croissante dans la production et dans la distribution, l’autorité économique des Etats traditionnels est remise en question : leurs attributions vont-elles passer à de nouvelles structures fédérales, du type de la communauté économique européenne ? va-t-on
au contraire vers une dissolution de l’Etat au profit d’unités plus petites ? Ce sont là des questions passionnantes pour l’avenir du monde.
La géographie politique contemporaine s’inscrit dans la logique générale des sciences sociales : elle discerne des forces et voit quelle part elles prennent au façonnement du réel. Chez les spécialistes de la politique, on est convaincu du rôle des décideurs, souvent d’une petite poignée ou d’un seul, dans les événements. Mais c’est aux contraintes qui pèsent sur les hommes, et aux mécanismes qui font sortir, des choix individuels, des conséquences imprévues et souvent non désirées que l’on s’intéresse surtout.
La gÉopolitique
La distinction entre géographie politique et géopolitique au moment où celle-ci entre en scène, après la première guerre mondiale, est souvent ténue. L’une et l’autre étudient de manière empirique des situations concrètes, et beaucoup d’auteurs ne font guère de distinction entre les deux domaines. On parle cependant plutôt de géopolitique lorsqu’on essaie de dégager, de l’analyse que l’on mène. des conseils pour l’action. C’est tout ce que l’on peut dire.
La géopolitique connaît le succès dans l’Allemagne d’après le traité de Versailles. Elle est une des manifestations du mouvement de refus de ce que l’on considère alors comme un diktat imposé par les vainqueurs. Pour sortir la patrie de la déchéance, il importe d’examiner les problèmes politiques dans l’optique des intérêts allemands, et de proposer aux hommes d’Etat à la tête du pays une réflexion qui puisse les guider dans leurs choix. La géopolitique à l’allemande est donc une réflexion sur les équilibres internationaux et sur la manière de mener une action qui permette au peuple allemand d’accomplir son destin : il y a une dimension philosophique inhérente à cette géopolitique. Elle ne fait qu’exalter, comme l’a récemment rappelé le général Gallois, une tradition inaugurée par Herder, développée par les maîtres à penser du début du XIXe siècle et sans laquelle on ne comprendrait pas l’évolution des pays Outre-Rhin depuis la révolution.
On parle beaucoup de la géopolitique allemande entre les deux guerres mondiales, mais on ignore les réflexions parallèles menées dans d’autres pays. Il y a en France, par exemple, une géopolitique : elle n’essaie pas de dire quelle assise territoriale convient à la nation française, mais de préciser comment un pays aussi divers que le nôtre par son peuplement peut constituer une unité. Comme celle-ci apparaît achevée, l’expansion n’est pas de mise, si ce n’est outre-mer. Comme l’a montré Geoffrey Parker, la géopolitique française essaie de fournir aux hommes d’Etat des éléments en faveur de la coopération internationale et de la création d’unions entre Etats. En ce sens, elle annonce la construction de l’Europe dans les années 1950. C’est dire qu’elle n’est pas aussi utopique que certains le disaient à l’époque.
Lorsque la géopolitique renaît, après 1975, elle retrouve certains de ses traits antérieurs : elle a toujours pour but de saisir la vie politique dans ses dimensions réelles, et ceci, afin d’éclairer les citoyens et les hommes d’Etat sur les enjeux des confrontations qui se développent dans le monde. Elle prend volontiers partie. Pour ceux qui entourent Marie-France Garraud, la sécurité internationale est au cœur des préoccupations. L’inquiétude était vive, dans beaucoup de milieux, au début des années 1980, à la vue des programmes d’armement des pays de l’Est. Quelle réponse leur fournir à l’Ouest ? Tel était le problème central. Pour Yves Lacoste et les collaborateurs d’Hérodote, l’accent est d’abord mis sur les confrontations Nord/Sud et sur les problèmes de développement. Tous les points chauds du monde retiennent l’attention : quels sont les intérêts en présence, les acteurs, les mentalités des adversaires, ou de ceux qui se trouvent, par le hasard des alliances, supporter la même cause ? Les problèmes de politique intérieure sont abordés dans la même optique. A l’occasion d’une consultation électorale, ce sont les mouvements politiques qui sont analysés, avec leurs militants et leurs leaders locaux, et avec les interventions menées depuis Paris par les états-majors. Chaque campagne est ainsi replacée dans le cadre des mentalités locales, des notables et de leurs dynasties, ou des équipements auxquels le nom de tel ou tel personnage influent est associé. Elle est saisie dans l’optique des différents protagonistes, des groupes qui cherchent protection et sécurité, des ambitions personnelles et des carrières individuelles. Ce ne sont pas des forces abstraites, un peu désincarnées que l’on repère, mais tout un complexe d’intérêts souvent contradictoires mais étroitement mêlés. C’est de ces informations que l’on a besoin si l’on veut comprendre l’issue des confrontations électorales, et ce qu’elles mettent réellement en jeu.
La géopolitique se distingue ainsi de la géographie politique par une optique plus concrète. Elle fuit les perspectives comparatives, qui permettent d’isoler un facteur et de mesurer son impact sur une série de cas par ailleurs dissemblables. Elle est volontiers monographique. Ce qu’elle cherche en effet, c’est à reconstituer l’environnement exact des situations politiques : elle fournit l’ensemble des informations qui éclairent les décisions prises par les acteurs immergés dans l’événement. Elle apprend à celui qui s’insère dans une évolution complexe les intérêts, les ambitions et les représentations en jeu.
La géopolitique ainsi conçue est vivante. Elle passionne un large public que les travaux plus abstraits de la géographie politique laissent froid. On a toujours eu besoin d’exemples commentés pour comprendre le monde. On les cherchait autrefois chez les historiens, chez Thucydide, chez Tite-Live, chez Quintilien. La géopolitique renoue avec cette tradition.
La gÉostratÉgie
La stratégie est aussi vieille que les armées et que les Etats : les généraux réfléchissent aux manœuvres qui leur permettront de surprendre leurs adversaires et de les défaire ; les hommes d’Etat essaient d’arrondir leurs possessions de façon à contrer les visées expansionnistes de tel ou tel voisin, à contrôler une voie de passage, ou à permettre une conquête future. Le problème, pour l’homme d’action, n’est pas de prendre la mesure des forces qui limitent sa liberté de choix : il ne connaît que trop le faible nombre et/ou le manque de valeur de ses sujets, les lacunes de ses ressources et les déficiences des infrastructures dont son territoire est doté. Ce qui compte pour lui, c’est de comprendre la logique qui inspire son adversaire, de prévoir ses mouvements, de saisir ses objectifs et de mesurer à partir de quel seuil il va réagir aux informations qu’il reçoit et le préviennent d’un danger. L’action se développe toujours dans des environnements incertains. Celui qui décide n’a pas les moyens de connaître tous les paramètres, d’évaluer tous les risques. En politique, une partie de ce que l’on aimerait connaître est volontairement caché par ses adversaires : les moyens dont on dispose perdraient de leur efficacité si tout le monde savait quand et comment ils vont être mis en œuvre.
La pensée stratégique se présente donc comme une initiation à la décision lorsque celle-ci se développe dans un environnement incertain et hostile dans lequel il importe d’évaluer sans cesse les réactions de l’ennemi et de manœuvrer en l’empêchant de mobiliser, de concentrer ou d’utiliser ses forces de manière efficace. La stratégie militaire a toujours une dimension géographique : elle implique le choix d’objectifs susceptibles de réduire la capacité de résistance de l’ennemi, occupation de provinces indispensables au ravitaillement des populations ou à la fabrication des armements, contrôle des voies de communication essentielles, prise de possession de lieux hautement symboliques, conquête des forteresses qui mettent les forces adverses à l’abri des surprises. Les manœuvres indispensables pour parvenir à ces objectifs se préparent sur la carte, en jouant sur la capacité de mouvement de ses forces, et en faisant en sorte que l’adversaire ignore le plus longtemps possible le sens des déplacements que ses éclaireurs rapportent.
Réflexion sur la décision en climat d’incertitude, la stratégie a beaucoup en commun avec les jeux, les échecs par exemple. Rien d’étonnant à ce que l’on trouve en Chine quelques-uns des plus anciens textes de réflexion stratégique : ceux de Sun Zi remontent à la période des royaumes combattants, plusieurs siècles avant notre ère. L’Inde et le monde islamique ont vu également fleurir précocement une littérature stratégique. Dans la tradition occidentale, les généraux ont rarement fait part de leur expérience. L’Antiquité n’a guère à nous offrir que La guerre des Gaules, mais César y présente sa campagne beaucoup plus en politique soucieux de justifier les libertés qu’il a prises avec les mandats qui lui étaient confiés qu’en stratège qui fait comprendre ses manœuvres. Il n’y a guère que les historiens qui nous interprètent les campagnes qu’ils nous racontent, et c’est à leurs œuvres que les militaires et les penseurs de la stratégie se réfèrent ensuite volontiers. Geoffrey Parker raconte que les amiraux anglais au début du XIXe siècle alimentaient encore leurs discussions d’exemples pris à Thucydide. Machiavel ou Juste Lippe tirent leur inspiration de Tite Live.
La pensée stratégique n’a jamais été absente en Occident. La manière dont est conçue la conquête des marchés aux épices par le Portugal en est la preuve. A peine l’Inde atteinte et quelques comptoirs créés, Albuquerque porte la guerre dans le golfe Persique pour bloquer le commerce arabe et persan et assurer à Lisbonne le monopole d’un fabuleux trafic. Mais l’effort de systématisation de conduites de ce genre ne devient indispensable que lorsque les armées occidentales mobilisent de tels effectifs que l’apprentissage sur le tas ne suffit plus à former leur encadrement. Les états-majors se généralisent au XVIIIe siècle sur le modèle français ou sur le modèle prussien, selon les pays. C’est à eux que s’adressent les théoriciens modernes de la stratégie, de Guibert à Jomini et à Clausewitz. C’est pour mettre en œuvre les conseils de ce dernier que l’on invente le Kriegspiel, première forme de l’entraînement à la décision en situation d’incertitude.
La vie économique est restée longtemps le fait d’unités relativement menues, si bien que les structures à états-majors ne s’y sont développées que tard, au moment de la révolution industrielle et à la faveur surtout du mouvement de concentration qui s’accélère à partir de 1880. Lorsque les Etats-Unis se lancent dans la première guerre mondiale, ils ont les entreprises les plus puissantes du monde, mais pas encore de formule pédagogique adaptée à la formation de leurs dirigeants. Les cadres mobilisés font l’expérience des jeux stratégiques que l’armée américaine importe de France en même temps qu’une bonne partie des brevets qui lui permettent de se créer une industrie des armements. Une fois la guerre finie, les officiers rendus à la vie civile se rappellent de l’efficacité de la formation que les militaires leur ont fournie. On décide donc de la transposer aux besoins de l’entreprise : c’est l’origine de la méthode des cas de Harvard.
La réflexion stratégique s’épanouit chez les militaires et chez les marins durant le XIXe siècle. Elle est un peu bridée, dans l’armée de terre, par les impératifs politiques de la défense : lorsqu’on se bat pour préserver le territoire national, il n’est pas question d’abandonner du terrain contre des possibilités de regroupement et d’action future. Les marins, que l’expansion coloniale fait évoluer sur des scènes lointaines, ne subissent pas les mêmes contraintes.
La fin du XIXe siècle constitue une période charnière : la stratégie des militaires est déjà l’objet d’une réflexion systématique. Celle que pratiquent les hommes d’Etat, et qui se situe à l’échelle de l’ensemble des fronts d’un pays en cas de guerre, ou de l’ensemble des théâtres où il est bon d’être présent en temps de paix, est encore purement empirique. La signification de travaux comme ceux de l’Amiral Mahan ou de Mackinder, c’est de la faire entrer dans la sphère des recherches académiques.
C’est la seconde guerre mondiale qui donne à la géostratégie sa véritable dimension. A l’heure où il ne reste plus dans le monde que deux superpuissances, l’équilibre se joue à l’échelle de la planète. Chacun des partenaires doit veiller à ses alliances, supputer les mouvements de l’adversaire, les prévenir ou les neutraliser sans mobiliser pour cela des ressources indispensables à son propre développement. La course aux armements donne un tour technique à ces travaux : tout l’équilibre de la planète dépend de la portée et de la précision des missiles que les Américains et les Russes s’ingénient à perfectionner.
La course aux armements, en se poursuivant, aboutit à un renversement imprévu des relations internationales : la dissuasion est si efficace que le risque d’un conflit direct entre puissances dominantes est de plus en plus réduit. Les seules confrontations de force possibles mettent en jeu des armements classiques. On voit du coup refleurir, dans l’analyse géostratégique, des dimensions qui paraissaient oubliées depuis la seconde guerre mondiale.
Conclusion
Géographie politique, géopolitique et géostratégie se sont développées parallèlement, et avec fort peu de rapports pendant longtemps. Avec le temps, leur propos s’est affermi. A la confusion des genres, qui est de règle lorsqu’une discipline se forme, a succédé une phase de spécialisation. La géographie politique, devenue adulte, montre quels sont les facteurs qui, à long terme, pèsent sur les équilibres politiques et aboutissent à un certain ordre spatial. La géostratégie se penche sur la prise de décision, et sur les dimensions et les conséquences spatiales de celle-ci dans les situations d’incertitude du monde réel. La géopolitique prend en compte tous les aspects des situations de force et montre comment elles sont vécues par les protagonistes en présence.
On assiste, depuis une trentaine d’années, à une nouvelle structuration des recherches en sciences sociales : certaines disciplines sont tournées vers l’analyse des forces à l’œuvre dans le monde et cherchent à montrer comment, et par quels mécanismes, elles modèlent à long terme le réel. D’autres s’intéressent au déroulement de l’action, à ses incertitudes, et essaient de préparer les futurs responsables aux charges qu’ils auront à assumer. Dans le domaine économique, on a vu ainsi se développer, à côté des sciences économiques, des sciences de la gestion qui apprennent comment suivre en permanence la santé d’une entreprise, comment évaluer les transformations de la demande ou l’état de la concurrence, et comment prendre en compte la conjoncture.
On constate, en matière de politique et d’espace, une évolution analogue : le premier versant y est représenté par la géographie politique qui est une réflexion sur les forces et processus à l’œuvre ; l’autre versant est double, puisqu’il comporte une analyse des conditions dans lesquelles la décision s’élabore, la géopolitique, et une réflexion sur les meilleures options à retenir, la géostratégie. La pluralité des termes employés aujourd’hui ne fait que traduire l’affinement des approches dans un domaine dont on a découvert peu à peu la complexité.
Par:Paul CLAVAL
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