Opposition en Arabie saoudite

Résistance et opposition en Arabie saoudite

Pour comprendre la dégradation des relations entre USA et Arabie Saoudite, il convient de voir le long parcours de la résistance anti-américaine dans ce pays. Extraits d'un article du marxiste afro-arabe Mohammed Hassan dans le dernier numéro d'Etudes marxistes.
Peter Franssen
21-05-2003

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L'Arabie saoudite connaît une longue tradition de révolte et de résistance contre la ligne pro-impérialiste du régime. En 1931, le régime découvre la lutte ouvrière. Mécontents des conditions de travail et des retards de salaires, les chauffeurs de la flotte royale arrêtent le travail. Le régime intervient durement. Les grévistes subissent une répression terrible et sont renvoyés dans leur contrée d'origine.
Dans les années 50, un embryon de mouvement ouvrier naît lors d'une série de grèves dans la compagnie pétrolière Aramco. Une première grève éclate en 1953. Les travailleurs saoudiens de l'entreprise dénoncent les discriminations par rapport aux travailleurs occidentaux.

En 1956, la tension reprend de plus belle. Le roi Saud entreprend de nouvelles négociations avec les Etats-Unis sur le renouvellement de la location de la base aérienne de Dhahran. Les travailleurs constatent toujours un large fossé entre leurs conditions de travail et celles des Occidentaux.

Au cours d'un dîner où le roi Saud se fait choyer par Aramco, des milliers de travailleurs manifestent contre l'impérialisme américain et exigent un syndicat élu. Pour le roi Saud, c'est l'occasion de promulguer une loi prévoyant des lourdes peines de prison pour les grévistes.

Le Comité des travailleurs, fondé après la première grève de 1953, constitue la première organisation politique saoudienne. Après trois ans d'intense activité clandestine, l'organisation est sévèrement réprimée par les autorités. Les membres qui réussissent à échapper se répandent dans d'autres organisations qui, à l'époque, sortent de partout comme des champignons.

En 1956, un groupe de communistes et quelques anciens membres du Comité des travailleurs fondent le Front de réforme nationale. En 1958, le même noyau communiste décide la création du Front de libération nationale, dont naîtra le Parti communiste de l'Arabie saoudite en 1975.

L'organisation la plus active est l'Union des peuples de la péninsule arabe, dirigée par Nasser Saïd, un partisan de Nasser et ancien travailleur d'Aramco. Elle parvient, malgré la répression, mais aidée par l'Egypte, à faire passer son message. Mais c'est précisément cette dépendance vis-à-vis de l'Egypte qui est la cause du rapide déclin de l'Union, après 1970 et la victoire de la ligne pro-impérialiste en Egypte. Au plus fort de sa popularité, elle compte de nombreux sympathisants dans l'armée. Son programme met l'accent sur l'aspiration à l'unité arabe et à de meilleures mesures en faveur des démunis.

Depuis 1958, en Arabie saoudite, il existe également une branche du parti Baath. A partir de 1963, elle va même constituer le principal mouvement d'opposition. Mais, dès lors, le parti va devoir compter avec les conséquences de la scission entre les fractions syrienne et irakienne. Après le coup d'Etat de 1969, ce mouvement, qui compte beaucoup de membres parmi les militaires, va être lourdement réprimé. A l'issue des années 70, seule reste encore active la fraction pro-irakienne.

En 1970, le Parti démocratique populaire est fondé par des Saoudiens se considérant comme marxistes-léninistes et prônant la lutte armée. Ses membres sont surtout des étudiants et des agents subalternes de l'Etat. Tous ces partis et mouvements connaîtront le même déclin que le mouvement nassérien en Egypte.

Après la guerre du Golfe

La guerre du Golfe jouera un rôle crucial dans le déclin économique qui touche aujourd'hui l'Arabie saoudite. Les Etats-Unis lui font supporter une part importante des frais de guerre. Le budget 1991 n'a jamais été publié, mais on estime que la guerre coûte 60 milliards de dollars au trésor saoudien.

La dette publique atteint des sommets inégalés et la croissance économique est bloquée. Elle est même négative en 1993 et 1994. Le pays doit affronter un chômage élevé, estimé entre 20 et 30%. La bureaucratie - qui pouvait naguère embaucher les universitaires grâce aux revenus pétroliers - et l'industrie pétrolière ne sont plus en état d'absorber la main-d'uvre.

En raison de la crise, le revenu annuel moyen est passé de 20.000 dollars en 1980 à 7.000 dollars aujourd'hui. Cette crise alimente de plus en plus le mécontentement parmi toutes les couches de la population. Même les principaux leaders religieux exigent un changement. Leur résistance s'inspire de l'islam, mais leurs exigences demeurent étonnamment nationalistes: investissements dans le pays, arrêt de la décadence, antisionisme, redistribution des richesses et unité arabe.

Une jeune génération d'intellectuels formés dans les universités saoudiennes dirige le mouvement d'opposition. Ils diffusent leur message radical via des cassettes audio et prêchent dans les mosquées. La protestation ne se limite pas à des mots. En novembre 1995, un attentat à la bombe coûte la vie à cinq Américains. En juin 1996, le complexe militaire des Khobar Towers est attaqué. Dix-neuf militaires américains y perdent la vie.

L'opposition chiite, qui a toujours été discriminée, fait aussi de plus en plus parler d'elle. Le Nord, où se trouvent nombre de gisements pétroliers, est une région chiite. Un parti Hezbollah y est actif aujourd'hui et le régime le considère comme une menace très sérieuse. Même au sein de la famille royale et de la grande bourgeoisie, les contradictions s'amplifient. Ben Laden en est l'exemple le plus éloquent.

Au cours de l'été 2002, le gouvernement américain semble prendre également conscience de la situation. L'analyste Laurent Murawiec donne une conférence sur l'Irak au Defence Policy Board, un organe consultatif du Pentagone. Des propos très durs visent la maison royale saoudienne. «Les Saoudiens sont actifs à tous les niveaux de la chaîne de la terreur, des planificateurs aux financiers, des cadres aux simples exécutants, des idéologues aux meneurs de bans.»

Murawiec qualifie l'Arabie saoudite de «foyer du mal» et d'«adversaire le plus dangereux au Moyen-Orient». Sa conclusion: un changement de régime en Irak doit aller de pair avec un accroissement des pressions sur les Saoudiens. «S'ils refusent d'obéir, il va falloir cibler leurs gisements pétroliers et leurs avoirs financiers à l'étranger.»