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Conception et fondements de la géopolitique

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Sujet unique Conception et fondements de la géopolitique

Message par Syfou Lun 16 Juil - 2:14

Géopolitique et conception

Objectifs :

Parvenir à une meilleure compréhension des conflits géopolitiques contemporains, à travers la l'acquisition d'une connaissance minimale des grands enjeux de l'actualité internationale, et d'une méthode d'analyse des conflits territoriaux.

Contenus :

La géopolitique est, pour Yves Lacoste, "l'étude des rivalités de pouvoirs sur des territoires". Ce module propose une approche compréhensive des grands enjeux géopolitiques contemporains. Il s'agira entre autres d'identifier les différentes communautés humaines, du clan à la nation, en passant par la tribu, l'ethnie et le peuple, et les dynamiques géopolitiques qui les animent : mutations du nationalisme, renouveau des identités locales et religieuses, décentralisation politique interne et constructions supranationales, insertion dans mondialisation…. Cette réflexion sur les échelles et les dynamiques des identités et des cadres de l'action politique permettra de mieux saisir les évolutions affectant les Etats : fin des Empires et des blocs de la guerre froide, multiplication du nombre des Etats mais érosion de leur souveraineté, rôle croissant des acteurs non-étatiques. Il s'agit au final de s'interroger sur l'état du monde actuel : hégémonie états-unienne à l'unilatéralisme contesté, fractures économiques et culturelles mondiales, menaces du terrorisme islamique et de la prolifération nucléaire, montée du droit d'ingérence, de l'humanitaire et d'une justice pénale internationale… Allons-nous vers une meilleure régulation globale des conflits ou un inévitable choc des civilisations ?

http://univ-tlse2.fr


Conception géopolitique

Conception géopolitique, le deuxième d’une série de manifestations organisées par le D:GP [le Centre de conception et de la géopolitique] à CALIT2/UCSD, La Jolla et San Diego, a eu lieu le 2 juin.

Certaines des questions plus importantes du design contemporain concernent « adaptation », le « potentiel » dans les nouvelles logiques de la pensée et de la production et la distribution de l’information.

D’une part, le « regard » plus en plus forte que nous avons sur le monde, grâce à la visualisation et la connaissance de très petites et grandes échelles des matériaux et procédés, et d’autre part, la capacité de réseautage entre les gens, les lieux et les objets eux-mêmes–connexions forme qui augmentent la capacité des types et niveaux de calcul à prendre placent en même temps.

Le besoin de traiter des quantités croissantes de données est une pression conduisant à l’apparition de la puissance de calcul plus élevée, tandis que le dernier conduit à la formulation de modèles pour comment les processus peuvent être considérés. Le célèbre « Internet des choses » (Kevin Ashton) promet un tissu complexe, non centralisée, croissant de l’augmentation de résolution qui peut brouiller en fin de compte un réseau de nœuds et de liens.

Dans cet environnement, les objets [et en fait toute pensée] devient plus grégaires et identité-ambigu, créant de nouvelles possibilités de conception (de Bruce Sterling SPIME). Dans de nombreuses disciplines (sciences politiques un thème clé lors de cette conférence), les questions précédentes de l’indépendance, souveraineté et gouvernance prendre le Centre de la scène et reflètent les thèmes de la fluidité et agilité que les approches de conception ont venir à bout d’aujourd’hui.

Événement de « Conception géopolitique » cette année, l’a pris forme de colloque, en mettant l’accent sur des approches de conception et de la politique et suivi la pensée interdisciplinaire de la Conférence de l’an dernier un événement avec des conférenciers de 19 disciplines.

Dans les mots du directeur D:GP Benjamin H. Bratton, cette interdisciplinarité était liée à une relation nouvelle entre la gouvernance et de la technologie: « notre intérêt n’est pas tellement design à une échelle géopolitique, plutôt de prendre l’architecture géopolitique, nous avons hérité du traité de Westphalie, des Empires passés, etc.

http://www.crea-news.com/conception-geopolitique.html


Géopolitique de la connaissance, colonialité du pouvoir et différence coloniale

Le concept de système-monde-moderne de Wallerstein apparaît encore eurocentrique face à celui de Quijano de "colonialité du pouvoir" ou celui de Dussel de "transmodernité". Il ne s’agit pas seulement en effet de montrer que l’Europe a colonisé le monde pour l’exploiter et le dominer mais de faire prendre conscience de la véritable méconnaissance organisée par le colonialisme depuis le XVIeme siècle. L’indépendance ne suffit pas si elle conserve les hiérarchies de pouvoir et de savoir, la décolonisation de l’esprit reste à faire.
En décembre 1998 s’est tenu un atelier sur "Capitalisme historique, colonialité du pouvoir et transmodernité" au Centre Fernand Braudel à l’Université de Binghamton avec des conférences d’Immanuel Wallerstein, Anibal Quijano et Enrique Dussel.

D’après Dussel la critique postmoderne de la modernité n’est pas suffisante, car elle reste eurocentrique. En proposant le concept de transmodernité il souligne que la modernité est un phénomène planétaire et non strictement européen, auquel les "barbares" fabriqués par les discours de la modernité ont aussi contribué même si leur contribution n’a pas été répertoriée. La conception du "capitalisme historique" de Wallerstein peut aussi être qualifiée d’eurocentrique, et c’est à l’analyse de l’eurocentrisme, à partir de la différence coloniale, chez Dussel (1995, 1998), Quijano (1997) et Wallerstein (1997a) que je vais m’attacher.

Je distinguerai deux grands récits, celui de la civilisation occidentale et celui du monde moderne (c’est à dire de la renaissance à nos jours), le premier caractéristique de la philosophie et le second des sciences sociales. En tant que philosophe Dussel est attaché au premier de ces deux récits, celui de la civilisation occidentale et de ses origines dans la Grèce Ancienne. Mais en tant que philosophe latino-américain il a toujours été attentif à la fondation historique du monde moderne comme monde colonial au XVIeme siècle. Il partage cet intérêt avec Wallerstein et Quijano qui sont tous deux sociologues. Quijano et Dussel ont en commun l’expérience coloniale latino-américaine, c’est à dire une histoire locale de la différence coloniale. Wallerstein par contre est immergé dans la différence impériale qui distingue la philosophie critique de la civilisation occidentale en Europe, et la sociologie critique de la modernité aux Etats Unis. La géopolitique de la connaissance est organisée en effet autour de l’approfondissement, au fur et à mesure de l’histoire, des différences coloniales et impériales. Mais c’est par dessus tout la différence coloniale qui a créé les conditions d’une double conscience épistémologique. La différence coloniale a été du XVIeme au XXIeme siècle le mécanisme qui a minorisé la connaissance non occidentale. La double conscience épistémologique du "comment être un philosophe africain" (Eze) ou "un historien indien" (Chakrabarty) vient au devant de la scène. L’épistémè monotopique de la modernité est confrontée à l’épistémè pluritopique de la colonialité. La double conscience épistémologique n’est pas une position de défense de "l’anti-modernité". Au contraire c’est une épistémè de la frontière, du bord de la pensée, énoncée à partir de la perspective de la colonialité.

Civilisation occidentale et système mondial moderne/colonial

Le concept de modernité n’est pas équivalent à celui de système-monde-moderne. La modernité est associée à la littérature, la philosophie et l’histoire des idées alors que le système-monde-moderne fait partie du vocabulaire des sciences sociales. Ces deux concepts ont occupé des espaces définis dans les discours académiques et publics depuis les années 1970. Pendant la guerre froide les sciences sociales ont gagné du terrain dans les cultures universitaires aux Etats Unis, en particulier dans le cadre des études d’aires culturelles (Fals Borda, 1971 ; Wallerstein, 1997b). Par conséquent la postmodernité est envisagée à la fois comme le processus historique par lequel la modernité rencontre ses limites, et comme un discours critique sur la modernité tenu à partir des humanités. Il est clair que "la modernité" ( et évidemment la postmodernité) a maintenu l’idée d’une civilisation occidentale se développant depuis la Grèce ancienne jusqu’ à l’Europe du dix-huitième siècle. Par contre, la conceptualisation du système-monde-moderne ne localise pas ses origines en Grèce. Plus, le concept de système-monde-moderne renvoie à une articulation spatiale du pouvoir plus qu’à une succession linéaire d’évènements. Le système-monde-moderne situe son commencement à la fin du XVeme siècle et le lie au capitalisme (Braudel, 1949 ; Wallerstein, 1974 ; Arrighi, 1994). Cette articulation spatiale du pouvoir est ce que Quijano théorise comme "la colonialité du pouvoir".

Le mérite de Quijano est d’avoir montré que la colonialité est une dimension omniprésente de la modernité, en distinguant donc colonialité et colonialisme. Quijano a montré que l’émergence du commerce triangulmaire au XVIIIeme a rendu la colonialité constitutive de la modernité. Si la modernité est située chronologiquement au dix-huitième siècle, la colonialité devient dérivée puisque la période fondatrice de l’expansion capitalistique ibérique est ignorée ou reléguée au Moyen Age. Dans ce scénario d’abord vint la modernité, puis le colonialisme et la colonialité devient invisible. Quijano et Dussel ont rendu possible non seulement de concevoir le système-monde-moderne/colonial comme structure socio-historique coïncidant avec l’expansion du capitalisme, mais aussi de concevoir la colonialité et la différence coloniale comme lieux d’énonciation. C’est précisément ce que je veux dire par géopolitique de la connaissance et différence coloniale (Mignolo, 2000a et 2000b).

Bien qu’il y ait discussion sur le point de savoir si le système-monde est âgé de 500 ou de 5000 ans, je ne pense pas que ce soit important. Il est par contre important que le système-monde moderne/colonial soit décrit en conjonction avec le commerce atlantique triangulaire, et qu’une telle conceptualisation soit liée aux effets des différences coloniales. La différence coloniale, en bref, se réfère aux faces successives des différences coloniales à travers l’histoire du système-monde moderne/colonial et met sur le devant de la scène la dimension planétaire d’une histoire humaine tue par les discours centrés sur la modernité, la postmodernité et la civilisation occidentale.

Libération de la philosophie et décolonisation des sciences sociales

La théorie de la dépendance a été plus qu’un outil analytique et explicatif pour les sciences sociales. Elle a accompagné la décolonisation en Afrique et en Asie et a suggéré une ligne d’action dans les pays d’Amérique Latine, près de 150 ans après leur décolonisation. Sa position par rapport au système est d’extériorité, à la différence de celle de l’analyse du système-monde. Mais l’analyse du système-monde a été capable à son tour d’introduire quelque chose que l’analyse de la dépendance ne pouvait pas faire : une dimension historique et un cadre socio-économique dans les sciences sociales. La différence (coloniale) irréductible entre théorie de la dépendance et l’analyse du système-monde ne tient pas à leurs structures conceptuelles mais aux politiques impliquées par leurs lieux d’énonciation. La théorie de la dépendance était un discours politique en faveur de la transformation sociale des pays du Tiers Monde alors que l’analyse du système monde était un discours politique en faveur de la transformation académique des pays du premier monde.

L’impact de la théorie de la dépendance sur la décolonisation des université latino-américaines fut immédiat et fort. En 1971 le sociologue colombien Orlando Fals Borda publia un livre important intitulé Ciencia Propia y Colonialismo Intelectual (Colonialisme intellectuelle et science propre) qui trouve aujourd’hui des échos dans nombre de cultures académiques d’Asie et d’Afrique. Le scénario est très simple : l’expansion occidentale n’a pas été seulement économique et politique, mais aussi culturelle et intellectuelle. Les alternatives socialistes européennes au libéralisme étaient tenues dans les colonies comme une étape de la libération sans faire la distinction entre émancipation en Europe et libération dans le monde colonial. Les fondements du savoir étaient et sont encore trouvés dans la civilisation occidentale et ses multiples et complexes possibilités, du moment que la conceptualisation (qu’elle soit de droite ou de gauche) reste dans le cadre du langage de la modernité.

Tandis que Wallerstein argumente en faveur de l’ouverture des sciences sociales, et affirme la nécessité de les maintenir en tant qu’entreprise académique mondiale, Fals Borda pense à une refondation des sciences sociales et des autres formations. L’expansion planétaire des sciences sociales implique que la colonisation intellectuelle reste en place, même si cette colonisation est pavée de bonnes intentions, faite par des gens de gauche et soutient la décolonisation. L’intuition de Fals Borda est que la décolonisation intellectuelle ne peut venir de philosophies et de l’épistémologie de la seconde modernité européenne. Elle surgira de la différence coloniale, du conflit entre la "modernité épistémologique" et "les connaissances traditionnelles" et viendra de ces dernières, des connaissances mineures .

Le projet intellectuel d’Enrique Dussel depuis le début des années 90 est une continuation indirecte de l’argumentation précoce de Fals Borda pour une décolonisation intellectuelle. Sa philosophie veut contribuer à la libération sociale, et à la libération de la philosophie en tant que projet attaché à l’histoire occidentale. Un tel projet tient à la différence coloniale. Il l’a définie dans sa confrontation avec Vattimo, dont il décrit le nihilisme comme le crépuscule de l’Ouest, de l’Europe et de la modernité, ajoutant "Est-ce que Vattimo s’est demandé quel sens peut avoir sa philosophie pour un mendiant Hindou couvert de la boue des flots du Gange, ou pour le membre d’une communauté bantoue de l’Afrique sub-saharienne en train de mourir de faim, ou pour les centaines de milliers de pauvres marginaux des quartiers des banlieues de Mexico ? Une esthétique de la “négativité” ou une philosophie de la “dispersion comme destin final de l’humanité” convient-elle à la majorité appauvrie de l’humanité ?" (Dussel, 1999 : 34).

Au premier abord, et en pensant aux vastes horizons de la philosophie, ce paragraphe pourrait être interprété comme facile. Il n’en est rien. Dussel désigne l’absence de pensée située, l’obscurité de l’universel moderne européen et capitaliste. Ce qui est à l’œuvre chez Dussel n’est pas seulement l’être, mais la colonialité de l’être d’où la philosophie de la libération tire son énergie et sa conceptualisation. Le Sud pour Dussel n’est pas une simple localisation géographique mais "une métaphore de l’humanité souffrant sous le joug du capitalisme mondial" (Santos, 1998 : 506). La modernité n’est plus regardée à partir du discours chrétien/colonial mais à partir de ses conséquences, c’est à dire de la répression des Amérindiens, de l’esclavage des Africains, et de l’émergence de la conscience créole ( à la fois blanche et métissée sur le continent, noire dans les Caraïbes), tous dans des positions dépendantes et subalternes. Comme le dit Dussel si au nord il peut être sain de célébrer le crépuscule de la civilisation occidentale, au sud il vaut mieux réfléchir au fait que 20% de la planète consomme 80% de son revenu.

Il ne va donc plus de soi de penser dans seulement dans les canons de la philosophie occidentale même si c’est de manière critique. Il serait de reproduire l’ethnocentrisme aveugle qui rend difficile voire impossible une philosophie politique inclusive. La limite de la philosophie occidentale est le bord sur lequel émerge la différence coloniale, rendant visible la diversité des histoires que l’Ouest aussi bien à gauche qu’à droite pensait cachées et supprimées. Des penseurs comme Frantz Fanon, Rigoberta Menchu, Gloria Anzaldua, Subramani, Abdelkebir Khatibi et Edouard Glissant, entre autres, ont initié de nouvelles philosophies.

Il faut souligner la relation entre les lieux -constitués par l’histoire et la géographie- et la pensée, ce qu’on appelle la géopolitique de la connaissance. Si la notion d’"être" a été inventée dans la philosophie occidentale, celle de "colonialité de l’être" ne peut en être la continuation critique (une sorte de déplacement postmoderne) ; il s’agit d’une refondation de la pensée et d’une attention critique à la géopolitique de la connaissance. L’épistémologie n’est pas a-historique. Elle ne se tient plus dans une histoire linéaire allant de la Grèce à la production de connaissance nord-atlantique contemporaine. Elle doit se spatialiser, s’historiciser, en faisant jouer la différence coloniale. Les densités de l’expérience coloniale, qu’a soulignées Frantz Fanon, sont les lieux d’épistémologies émergentes qui ne recouvrent pas celles qui existent, mais qui construisent sur les silences de l’histoire. En ce sens Fanon est l’équivalent de Kant, comme Guaman Poma de Ayala dans le Pérou colonial, peut être considéré l’équivalent d’Aristote en tant que référence obligatoire de la pensée. S’ils ne sont pas considérés ainsi c’est à cause du "temps". Depuis la Renaissance, le temps a fonctionné comme un principe ordonnant de façon croissante les lieux, les reléguant avant ou en dessous en fonction des principes des maîtres du temps. La discontinuité entre "être et temps" et "colonialité de l’être et du lieu" est ce qui incite Dussel à souligner la différence (coloniale) entre la philosophie continentale (Vattimo, Habermas, Apel, Foucault) et la philosophie de la libération .

Les réflexions de Vine Deloria, juriste, activiste et intellectuelle native américaine, sur l’espace et le temps (les lieux sacrés et le temps symbolique et abstrait) rendent visible l’irréductible différence coloniale. Pour Deloria l’idéologie américaine se divise entre native américaine et immigrée européenne, et "cette différence fondamentale est d’une grande importante philosophique" (1972). Cette différence fondamentale est tout simplement la différence coloniale puisqu’il ne s’agit pas de visions du monde ou de cosmologies incommensurables, mais d’une différence liée à la colonialité du pouvoir. Les deux philosophies sont historiquement et logiquement liées l’une à l’autre par une relation de dépendance. C’est une dépendance liée à l’universalité attribuée au temps et à la singularité attribuée au lieu par l’idéologie américaine et européenne.

Wallerstein a tracé la carte de l’épistémologie moderne, qui a été d’abord divisée en science et philosophie (et humanités). La division a été ensuite surmontée de manière conflictuelle par l’émergence des sciences sociales, avec certaines disciplines penchant du côté des sciences (économie, sociologie et sciences politiques) et d’autres du côté des humanités (anthropologie culturelle, histoire). Wallerstein décrit deux sens basiques du concept d’espace-temps dans les sciences sociales : l’espace temps géopolitique ou événementiel, et l’espace-temps éternel (Wallerstein, 1991). Le premier rend compte du présent et de la singularité. Le second de ce qui est uniforme à travers le temps et l’espace. Après avoir indiqué les limites de ces deux espaces-temps, Wallerstein souligne d’autres dimensions négligées par les sciences sociales : l’espace-temps cyclique-idéologique, l’espace-temps structurel, l’espace-temps transformationnel (Wallerstein, 1997a). Argumentant pour la prise en compte de ces nouvelles dimensions dans les futures sciences sociales, Wallerstein prévoit et espère une épistémologie unifiante qui viendra à bout du divorce classique entre sciences et philosophie (ou humanités), et sortira les sciences sociales de leur inconfortable place centrale. Mais qu’est ce que cette épistémologie laissera à part ? Tout l’espace de la différence coloniale à laquelle Wallerstein, comme Vattimo, reste aveugle.

Citons encore Deloria : "Les peuples occidentaux n’ont jamais appris à voir la nature du monde d’un point de vue spatial" (1972 : 63). Le temps et l’histoire ont conduit à des schémas globaux (religieux, économiques, sociaux, épistémologiques) qui ont émergé comme des réponses aux besoins d’un site donné, et qui ont été considérés comme universels dans le temps et l’espace. L’expérience à partir de laquelle ces schémas avaient surgi a été vidée quand ils ont été exportés et programmés pour être greffés sur l’expérience d’un lieu différent. Cependant le projet (qui a été celui de la modernité de la renaissance chrétienne jusqu’au marché global contemporain) ne convainc plus. "L’espace génère du temps, mais le temps n’a que peu de relation avec l’espace" (Deloria, 1972 : 71). Par conséquent l’idéologie universelle du temps et de l’histoire désincorporés atteint le point où l’espace et le lieu ne peuvent plus être maîtrisés. Le monde n’est pas en train de devenir un village global, et n’en a plus l’espoir. Au contraire c’est une "série de poches non homogènes d’identité qui peuvent éventuellement venir en conflit car elles représentent des arrangements historiques différents d’énergie émotionnelle" (Deloria, 1972 : 65).

Cependant le problème n’est pas de renouveler la conceptualisation de l’espace-temps dans le cadre du paradigme kantien où l’espace et le temps sont des invariants mais de saisir leur discontinuité de l’autre côté de la différence coloniale, de saisir un espace-temps qui n’aurait pas ce nom, comme le Pachakuti du peuple Aymara dans les Andes par exemple. La reconceptualisation de l’espace-temps par Wallerstein reste à l’intérieur de l’idéologie domestique, et suppose sa validité universelle pour toutes les sociétés. La conceptualisation radicale de Deloria situe la discussion ailleurs, au delà des sciences sociales, dans une épistémologie qui ne cherche pas à unifier les deux cultures américaines, amérindienne et européenne, mais à construire à partir du caractère irréductible de la différence coloniale.

La même affirmation de l’irréductibilité de la différence coloniale se trouve chez Robert Bernasconi, spécialiste de la philosophie occidentale, quand il rend compte des problèmes que pose la philosophie africaine. La philosophie africaine est jugée à tort ou trop semblable ou trop différente de la philosophie occidentale, pour que celle-ci la laisse exister autrement que dans une position mineure, à la marge. Bernasconi cite par exemple un article du philosophe africain Lucius Outlaw : "La philosophie africaine, essais de déconstruction et de reconstruction", pour souligner les limites de l’opération de déconstruction de Derrida et le caractère fermé de la métaphysique occidentale. Celle-ci ne laisse pas de place aux questions des philosophies chinoise, indienne et surtout africaine. Un dialogue ne serait possible qu’en dénaturalisant la métaphysique occidentale, en la déconstruisant de l’extérieur. Il s’agirait d’adopter une perspective tout à fait singulière, pour décoloniser la philosophie, ou toute autre branche du savoir. Un tel changement de perspective a été suggéré par un philosophe marocain , Abdelkébir Khatibi. Comme le dit Bernasconi il s’agit de décoloniser l’esprit, tâche aussi importante pour le colonisé que pour le colonisateur, c’est à dire non seulement de regarder en face la colonisation, mais de reconnaître ce qui existait avant elle. (Bernasconi, 1997 : 191).

En reconnaissant la différence coloniale, Bernasconi rompt avec des siècles d’aveuglement philosophique européen quant à la différence coloniale et à la minorisation du savoir. Dussel lui aussi en appelle à une double opération de déconstruction-reconstruction ou mieux de décolonisation. Sa demande d’une éthique et d’une philosophie de la libération est à la fois une libération de la philosophie et une affirmation de la philosophie comme instrument de décolonisation. Dussel souligne nettement l’aveuglement de Vattimo pour le côté obscur de la modernité, c’est à dire pour la colonialité : la violence que Vattimo (ou Nietzsche, ou Heidegger) atttribue à la raison instrumentale moderne, c’est celle que la colonialité du pouvoir a exercé à l’encontre des cultures non-européennes. La différence coloniale est reproduite par la philosophie dans son invisibilité. Il s’agit, comme chez les philosophes africains de s’en libérer par un double mouvement : s’approprier la modernité, mais surtout aller vers une "transmodernité" entendue comme une stratégie de libération, un projet de décolonisation, pour tous, qui inclue le colonisateur et le colonisé.

Le problème est le même pour les sciences sociales. Leur ouverture au reste du monde ne suffit pas si elles restent à la même place, si les sciences sociales non américano-européennes se voient reprocher d’être trop proches ou trop lointaines des sciences sociales normales. Elles sont restées plus discrètes que les philosophes, en dehors des exemples de Fals Borda et Quijano en Amérique latine et du groupe des Etudes sud-asiatiques mineures. L’intuition par Fals Borda d’une double diaspora des cerveaux dans le Tiers monde reste valable. Mais le plus nocif n’est pas que les chercheurs quittent les pays où ils n’ont pas les moyens de travailler pour ceux où ils les ont ; c’est qu’ils restent dans des pays où les mauvaises conditions de recherche leur font reproduire les concepts élaborés à partir d’autres expériences historiques et sociales. Là encore ils se retrouvent dans la double contrainte issue de la colonialité du pouvoir. Si l’ouverture des sciences sociales est positive, la sociologie indigène est importante aussi , quoiqu’elle ne résolve qu’une part du problème. Il faut en effet sortir des limites de la sociologie pour rendre compte de la différence coloniale, et construire un espace alternatif à la philosophie et aux sciences sociales.

Capitalisme historique, colonialité du pouvoir et dépendance

Le concept de capitalisme historique (introduit par Wallerstein au début des années 1980), complète sa notion plus ancienne de système-monde-moderne. Il s’intéresse à l’expansion et aux transformations du capitalisme, au lieu d’étudier ses lois et sa structure comme Marx. Il fait de l’expansion une conséquence nécessaire de l’accumulation, et situe son apparition en Europe au XVeme siècle. Mais il fait l’hypothèse qu’il n’ y avait pas trace de capitalisme auparavant et que le capitalisme a remplacé tous les systèmes économiques préexistants ; or le temps linéaire et la nouveauté sont deux piliers de l’idéologie capitaliste et de l’épistémologie moderne.

Certes le capitalisme s’est efforcé de dominer toutes les autres organisations économiques qu’il a rencontrées au cours de son expansion, du quinzième au vingtième siècle. Mais il n’est pas vrai que domination signifie toujours élimination. Ce qui manque à la conception du capitalisme de Wallerstein, ce sont les problèmes qui viennent de l’extériorité du capitalisme. Par extériorité je veux dire un espace de tensions dans lequel s’est généré le capitalisme, qu’il a fini par remplir, mais qui n’en demeure pas moins. Wallerstein fait du capitalisme une totalité sans extériorité. A mon avis la transmodernité et la colonialité du pouvoir sont au capitalisme ce que les réflexions de Lévinas sont à " l’être " de Etre et temps d’Heidegger. Cette analogie est possible du fait de la traduction par Dussel de l’expérience coloniale dans l’"extériorité" de Lévinas (Dussel, 1975). L’analogie est également possible du fait de la double fracture dans les grands récits occidentaux, d’une part entre les traditions grecque et juive en philosophie, d’autre part entre la modernité et la colonialité dans l’histoire du système-monde-moderne.

Le capitalisme historique occulte la différence coloniale et plus encore la nécessité de regarder le capitalisme par l’autre bout, par son extériorité. Certes Wallerstein intègre le racisme et l’universalisme dans son image du capitalisme historique. Il dit même que le racisme a été le support culturel du capitalisme historique et que l’universalisme a été sa clé de voûte. Wallerstein considère que l’ethnicisation a fourni un mécanisme assurant la formation de la force de travail par la différenciation ethnique et non aux frais des employeurs ou de l’Etat. Le capitalisme historique a changé la signification du racisme. Il ne s’agit plus de xénophobie mais de la création d’une relation durable entre ethnicité et division du travail (Wallerstein,1983).

Wallerstein, Quijano et Dussel ont en commun leur dette à l’égard de la théorie de la dépendance. Mais ils n’ont pas la même position par rapport à la différence coloniale. Pour comprendre le concept de Quijano de "colonialité du pouvoir", il faut accepter le fait que la colonialité est constitutive de la modernité et n’en est pas une conséquence. L’émergence du commerce transatlantique triangulaire a constitué en même temps la modernité, le capitalisme et la colonialité. Certes ce circuit commercial n’a pas été immédiatement le fondement du pouvoir hégémonique occidental. D’autres circuits commerciaux existaient en Afrique, en Asie, et dans ce qui allait devenir l’Amérique . Mais la modernité/colonialité est le moment où l’histoire occidentale se noue avec le circuit commercial atlantique, le moment de fondation du système-monde-moderne/colonial.

Quijano signale l’Amérique Latine et les Caraïbes comme des lieux dont l’histoire est traversée d’un double mouvement de retour aux origines et de répression. Ce double mouvement est le signe même de la différence coloniale, et la conséquence de la colonialité du pouvoir. La colonialité survit au colonialisme qui s’est arrêté en Amérique latine au début du XIXeme siècle ; la colonialité est constitutive de la modernité et toujours actuelle. C’est la face cachée de la post-modernité ; la post-colonialité serait l’émergence aujourd’hui d’une colonialité globale. D’après Quijano on assiste aujourd’hui à un processus qui affecte tous les aspects de l’existence sociale des gens de tous les pays. Le monde moderne/colonial qui s’est formé il y a cinq cents ans culmine avec la formation d’une structure productive, financière et commerciale encore plus intégrée que par le passé. On assiste à une reconcentration drastique du pouvoir politique et du contrôle sur les ressources (Quijano, 1997).

Ces changements n’ont pas touché de manière égale les diverses sociétés et histoires locales. Cependant la colonialité du pouvoir est un trait commun entre la modernité/colonialité du XVIeme siècle et sa version du début du XXIeme siècle. C’est un principe et une stratégie de contrôle qui présente une configuration de traits caractéristiques.

L’idée de race ou de pureté du sang (comme on disait au XVIeme siècle) est devenue le principe de base de la classification des peuples sur toute la planète, redéfinissant des identités, justifiant l’esclavage et le travail assujetti. La matrice du pouvoir s’est constituée sur plusieurs terrains :
l’existence et la reproduction d’entités géo-historiques, parmi lesquelles le tétrapode ethno-racial de Kant (noirs d’Afrique, rouges d’Amérique, jaunes d’Asie et blancs d’Europe) n’est qu’une définition parmi d’autres ;
l’établissement d’une hiérarchie entre Européens et non-Européens, bien illustré par Kant (1792) ;
le remodelage des institutions de telle manière qu’elles maintiennent la colonialité du pouvoir établie au XVIeme siècle, et qu’elles en fassent un trait constitutif de la modernité et du capitalisme ; Le système-monde-moderne/colonial est une structure dans laquelle la dépendance historico-structurelle est la face visible de la colonialité du pouvoir. Une face non seulement politique et économique mais aussi épistémologique. Quijano souligne l’eurocentrisme de la seule connaissance légitime (Quijano, 1997).

La colonialité du pouvoir est à l’œuvre aussi bien dans le grand récit de la civilisation occidentale que dans celui du système-monde-moderne. Les espaces colonisés ont été soumis aussi bien à la christianisation et à la mission civilisatrice qu’au développement, à la modernisation et au marché. Les barbares, les primitifs, les sous-développés, les peuples de couleur sont des catégories créées par la colonialité du pouvoir et qui ont produit autant de dépendances épistémologiques de forme globale chez ceux qu’elles visaient.

Quijano et Dussel ont affirmé tous les deux que le point de départ de la connaissance et de la pensée devait être la différence coloniale et non les grands récits. En effet la transmodernité et la colonialité globale du pouvoir mettent en lumière la différence coloniale et montrent qu’il n’est plus nécessaire de penser depuis la différence coloniale comme position subalterne parce qu’elle ne se situe plus sur les bords des grands récits mais les traverse de part en part. Les conséquences d’une telle remarque sont gigantesques pour l’épistémologie, l’éthique et la politique.

Eurocentrisme et géopolitique de la connaissance

Alors que Wallerstein a apporté la théorie de la dépendance à la sociologie en tant que discipline, Quijano et Dussel en ont embrassé l’étendue politique et dialectique. Ils ont montré qu’on pouvait penser au delà et contre la philosophie et les sciences sociales en tant qu’incarnation de l’épistémologie occidentale. Ceux qui ne sont ni blancs, ni chrétiens, ou qui ont été marginaux par rapport à la fondation, la transformation et l’expansion de la philosophie et des sciences sociales et naturelles, ne peuvent se satisfaire de leur identification ou de leur solidarité avec la gauche européenne ou américaine. La critique du christianisme par Nietzsche, de culture chrétienne, ne peut coïncider avec la critique de la chrétienté et de la colonisation par le musulman Khatibi. Il est essentiel de reconnaître que la "totalité" épistémologique occidentale, de droite comme de gauche, n’est plus valable pour la planète entière. La différence coloniale est devenue incontournable. La Grèce ne peut plus être la référence des nouvelles utopies comme le croit encore Slavoj Zizek (Zizek, 2000) qui, manifestement mécontent des critiques récentes de l’eurocentrisme, fait un plaidoyer en faveur de l’eurocentrisme de gauche en ignorant l’autre histoire, l’histoire racontée depuis la perspective de la colonialité. En appelant à la politisation démocratique qui serait l’héritage européen venu de la Grèce ancienne, et qu’il faudrait retrouver contre les formes les plus régressives de la haine fondamentaliste, il ignore la différence coloniale et reproduit aveuglément la croyance que ce qui est arrivé en Grèce appartient à un héritage européen, alors que celui-ci a été construit à la renaissance, c’est à dire au moment de la formation du commerce triangulaire transatlantique et du monde moderne/colonial. Il s’interdit ainsi de voir que la diversité plus que l’universalité est la véritable alternative à la globalisation.

Il faudrait au contraire délier la contribution grecque à la civilisation humaine de l’histoire européenne ultérieure pour voir que l’héritage grec a été apporté à l’Europe par le monde arabo-islamique et repris dans d’autres traditions : chinoise, indienne, africaine, amérindienne, créole. Une des conséquences de cette perspective serait la diversité comme projet universel plutôt que la reformulation d’un nouveau projet abstrait universel, comme le propose Zizek. Je ne me sens plus mobilisable pour un tel projet se réclamant de l’héritage européen fondamental. Je suis sûr qu’il y a plusieurs bonnes alternatives aux menaces croissantes de la globalisation, et l’héritage fondamental européen est sans doute l’une d’elles. Il ne s’agit pas de relativisme mais de la diversité comme projet universel, un projet qui est à la fois une alternative à l’universalité et qui offre la possibilité d’un réseau planétaire de confrontation avec la globalisation au nom de la justice, de l’équité, des droits de l’homme et de la diversité épistémologique.

Traduit de l’anglais par Anne Querrien.

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Sujet unique Re: Conception et fondements de la géopolitique

Message par Syfou Lun 16 Juil - 2:23

Les fondements de la géopolitique ou pourquoi les événements de novembre 1989 ont tant contrarié George Bush

Dans les jours qui ont suivi la chute du mur de Berlin, la mauvaise humeur du président américain George Bush était si évidente que les journalistes de la Maison Blanche le lui ont fait remarquer. Le président a répondu, à propos de l’ouverture des frontières, qu’il n’aimait pas verser dans « l’émotion » et qu’il n’irait pas « danser sur le mur ».

George Bush s’inquiétait pour deux raisons. D’une part, la chute du mur et la réunification prévisible de l’Allemagne signifiaient la fin du système de Yalta. D’autre part, le conflit Est-Ouest, qui avait dissimulé les fondements géopolitiques du système de Yalta derrière la lutte entre le communisme et le « monde libre », tirait à sa fin.

A la fin de 1989, la classe politique à Washington, Londres, Paris et Moscou avait bien compris que les changements en Europe de l’Est étaient devenus irréversibles. Dès le sommet de Malte de décembre 89 et au gré des discussions entre chefs d’Etat, les quatre puissances victorieuses ont cherché à établir de nouveaux principes géopolitiques en Europe, sur les cendres du conflit Est-Ouest.

Les axiomes de la géopolitique

Mais qu’entend-on par « géopolitique » ? Considérant les événements historiques et les relations entre Etats, la géopolitique donne la priorité aux « facteurs objectifs », comme l’« espace » et les « masses », en opposition aux facteurs « subjectifs » comme le développement culturel et technique. On compte parmi les principaux fondateurs de la géopolitique :

Friedrich Ratzel (1844 ?1904), dont le livre La géographie politique (1897) passe pour donner les fondements théoriques généraux de la géopolitique ;
L’amiral américain Alfred T. Mahan, auteur du livre L’influence de la puissance maritime sur l’histoire (1890), qui a fait des « espaces océaniques » et du rôle des « puissances maritimes » les notions centrales de la géopolitique ;
Sir Halford J. Mackinder (1861-1947), qui est le véritable fondateur de la géopolitique opérationnelle. Pour lui, le conflit géopolitique central se résume à l’opposition d’intérêts entre le « centre continental eurasiatique » et les « îles à la périphérie », à savoir les puissances maritimes anglo-américaines ;
Karl Haushofer (1869-1946), pour qui l’avancée ou la chute des Etats et des peuples se manifestent dans l’expansion ou, au contraire, la contraction des espaces qu’ils dominent. Haushofer eut une forte influence sur le national-socialisme et aussi sur la géopolitique soviétique.

 Conception et fondements de la géopolitique Mackinder

Cette carte (de la propre main de Mackinder) montre la conception du monde du « père » de la géopolitique britannique, qui postulait une confrontation entre les puissances maritimes du « croissant extérieur » et les puissances du « croissant intérieur » pour le contrôle du « pivot central »
Notez bien que la Grande-Bretagne et le Japon ont été soigneusement placés dans le croissant extérieur, avec les Etats-Unis, l’ensemble des Amériques, une grande partie de l’Afrique et l’Australie. L’Europe continentale fait quand à elle partie, avec le Moyen-Orient, l’Inde et la Chine, du « croissant intérieur » )


La géopolitique postule que les conditions géographiques, climatiques et démographiques déterminent en premier lieu le cours de l’histoire. Mackinder dit que la tâche de la géopolitique est « de comprendre l’interaction entre l’homme et l’environnement. (...) L’homme est avant tout le produit de son environnement géographique. (...) Nous cherchons une formule qui permette d’exprimer certains aspects de la causalité géographique de l’histoire universelle . »

La géopolitique repose sur la prémisse réductrice selon laquelle la géographie, ou la surface de terre disponible, sont inchangeables tandis que les masses d’hommes sont dynamiques. En raison des limites objectives de l’espace géographique, les luttes de pouvoir et de domination entre peuples et Etats sont inévitables. La possession du sol et de ses ressources doit faire l’objet de combats politiques et militaires entre peuples concurrents. Pour citer Friedrich Ratzel : « Pour l’homme et son histoire, la superficie des terres est inchangeable. Le nombre d’hommes augmente, le sol sur lequel ils vivent et agissent reste toujours le même ». Le sol est « le seul facteur de cohésion matériel, pour chaque peuple. (...) Au fil de l’histoire, l’épanouissement progressif des pouvoirs spirituels n’a pas affaibli ce lien, qui s’accroît en même temps que le nombre d’hommes. (...) Les grands espaces assurent à leurs [habitants] la protection inhérente aux grandes distances. (...) C’est pourquoi nous voyons, dans la compétition entre les peuples forts et faibles, que les faibles s’effacent plus vite dans des espaces étroits »

La doctrine de la géopolitique tient ses axiomes idéologiques de la théorie des physiocrates du XVIIème siècle, qui voyaient dans la valeur inorganique et organique du sol la seule source de richesse économique. Plus tard, la géopolitique s’appuiera sur les prémisses - économiquement injustifiées - que Thomas Malthus développe dans son oeuvre On Population, où il est question d’une contradiction soit-disant insurmontable entre la croissance démographique et la production de nourriture, contradiction qui mène logiquement à la « nécessité » de réduire la population. On retrouve ce courant de pensée défendu en Angleterre dans la deuxième moitié du XIXème siècle : seuls les plus « forts » survivront dans la lutte pour le sol et ses richesses naturelles, affirment alors ceux qui se réclament du « darwinisme social ».

La civilisation judéo-chrétienne s’est bâtie autour de conceptions qui sont à l’opposé de la doctrine géopolitique, dont les postulats sont économiquement indéfendables et moralement inacceptables. Le nazisme étant la négation par excellence de la culture judéo-chrétienne, il n’est pas étonnant que Hitler fut aussi un grand admirateur de la géopolitique de Ratzel, Mackinder et Haushofer. Il étudia l’oeuvre principale de Ratzel peu avant d’écrire Mein Kampf. Karl Haushofer était membre de la « Société de Thulé » de Munich, l’organisation embryon du national-socialisme, au début des années 20. Le nazisme a incorporé dans ses axiomes les notions géopolitiques de « Iutte pour l’espace vital » et d’attachement « au sol et au sang ». Parallèlement, dans les années 20 et 30, Karl Haushofer avait une influence importante dans le Komintern et parmi les intellectuels communistes « politisés » en Union soviétique. Mentionnons simplement les relations étroites qu’il entretenait avec Richard Sorge, qui était à l’époque l’un des dirigeants du renseignement soviétique.

Il n’est évidemment pas question de confondre les axiomes idéologiques de la géopolitique avec les catégories économiques réelles de la géographie politique. Il va sans dire que toute analyse ou planning stratégique doit tenir compte de notions comme la position géographique, l’espace, les frontières, la constitution du sol, les voies de transports naturelles, la densité de population, les pays voisins, etc.

Mackinder, le père de la géopolitique

En suivant l’itinéraire d’Halford Mackinder, on peut suivre très précisément la mise en oeuvre opérationnelle des concepts géopolitiques dans la politique étrangère de l’Angleterre, dès la fin du XIXème siècle. Les dirigeants britanniques reconnaissaient alors que la puissance économique, scientifique, et aussi militaire de leur empire s’affaiblissait par rapport à celle des Etats-Unis, d’une part, et celle de l’Europe continentale (Allemagne, Russie, France) d’autre part. L’oligarchie britannique décida en conséquence d’élaborer un nouvel impérialisme autour d’un groupe constitué entre autres de Cecil Rhodes, lord Milner, lord Grey et lord Rothschild. Baptisé le « kindergarden » (jardin d’enfant) de Milner, le groupe comptait également dans ses rangs Halford Mackinder.

A l’époque les dirigeants britanniques savaient, après les défaites de 1783 et de 1814, qu’une troisième guerre contre les Etats-Unis, dont la population et la puissance économique et militaire s’étaient considérablement accrues, était exclue. La puissance de la marine américaine était à elle seule suffisamment dissuasive.

Incapable de vaincre militairement les Etats-Unis, la Grande Bretagne a tenté alors de les convaincre de devenir les partenaires et, en fin de compte, les alliés de l’empire britannique. Elle utilisa, pour ce faire, des arguments géopolitiques. Reprenant les théories de l’amiral Mahan, Mackinder affirmait que les intérêts géopolitiques fondamentaux des deux puissances maritimes (Etats-Unis et Angleterre) se confondaient. Du fait même de la géographie, d’après Mackinder, la « périphérie d’îles et de continents extérieurs » s’oppose a priori aux terres « centrales » eurasiatiques. Si un Etat ou une alliance d’Etats devait réussir à imposer son hégémonie sur le continént eurasiatique, cela constituerait une menace mortelle pour les puissances maritimes des « îles ». Toujours selon Mackinder, la Grande Bretagne et les Etats-Unis devaient donc rejoindre leurs forces pour empêcher la consolidation d’une hégémonie quelconque sur le continent.

La politique britannique envers les grandes puissances eurasiatiques - Russie, Allemagne, France - sera par conséquent guidée par le « rapport de forces » au sein du « concert européen ». Depuis le XVIIème siècle, la Grande Bretagne avait pris l’habitude de s’allier - par entente publique ou secrète - avec la deuxième ou troisième puissance du continent, pour s’opposer à la première. Dans la logique du rapport de forces, la puissance dominante ne peut maintenir sa position que si les puissances secondaires sont maintenues dans un état perpétuel de concurrence politique ou militaire. Autrement dit, le plus fort exerce vis-à-vis des autres le principe de « diviser pour régner ».

Après 1871, la France avait cédé à l’Allemagne la première place sur le continent. Par là même, pour la diplomatie britannique, l’Allemagne devenait - automatiquement pourrait-on dire l’ennemi numéro un. En même temps, la diplomatie britannique se trouvait confrontée à un nouveau défi : les progrès fulgurants de l’ensemble du continent dans les domaines industriels et techniques, notamment dans les transports. Le risque était que les trois grandes puissances continentales, mettant une sourdine à leurs rivalités habituelles, oeuvrent en faveur d’une coopération économique mutuelle. La mise en place d’un réseau ferré ouvrait de nouvelles perspectives d’échanges commerciaux dans tous les pays, mais plus important encore, la construction d’une ligne transsibérienne et de la ligne Berlin-Bagdad risquaient de concurrencer la domination britannique des mers. Le chemin de fer transcontinental menaçait l’empire britannique bien plus que la flotte allemande.

Du coup, la diplomatie britannique d’avant la Première guerre mondiale eut pour objectif essentiel d’empêcher par tous les moyens une entente continentale entre la France, l’Allemagne et la Russie. Mackinder allait élaborer les catégories géopolitiques appropriées pour exprimer cet objectif ; l’espace eurasiatique fut divisé entre le « cœur « (Heartland) ou le centre - la Russie -, et une « zone périphérique » ouest et centre-europeenne (Rimland) longeant la Méditerranée jusqu’au Proche-Orient. Cette deuxième zone incluait les Balkans, une région qui, dans les décennies précédant la Première guerre mondiale, était source des tensions les plus fréquentes entre l’Allemagne, la Russie et la France. Une région par conséquent propice à l’activation d’un conflit tel que celui de la Première guerre mondiale, qui ravagea les trois grandes puissances du continent...

Le système de Versailles

Une fois l’Allemagne défaite en 1918, la Grande Bretagne avait atteint son objectif : un « nouvel équilibre » s’était créé entre les puissances du Continent ; mais les visées géopolitiques de la Grande Bretagne transparaissaient dans le système mis en place lors du Traité de Versailles :

L’Allemagne était détruite sur les plans politique et économique, isolée et paralysée sur le plan extérieur.
La France était foncièrement opposée à l’Allemagne. Epuisée, elle suivait la volonté britannique dans les négociations.
La Russie était économiquement hors jeu, mais politiquement imprévisible, du fait de la dictature bolchevique.
Fidèle aux postulats géopolitiques, la diplomatie britannique s’efforcera par la suite d’assurer la division du continent en créant un « cordon sanitaire » autour de l’Europe de l’Est, de l’Europe centrale et du Sud-Est. Il s’agissait moins de limiter le droit à l’auto-détermination des peuples de la région que de séparer l’Allemagne du « coeur » russo-soviétique. Economiquement et politiquement, le système de Versailles ne pouvait cependant pas tenir. De fait il s’effondrera dans la période 1929-33. L’Allemagne nazie développe alors son potentiel économique et militaire et la Russie stalinienne redevient une grande puissance impériale. A partir de 1938, la diplomatie britannique cherche à nouveau à rétablir sa domination en poussant les deux pays l’un contre l’autre, espérant les amener à se livrer à une guerre meurtrière prolongée. La géopolitique nazie, d’une part, fondée sur la conquête d’« espace vital » à l’Est, et l’expansionnisme de l’empire soviétique, de l’autre, rentrent parfaitement dans le cadre des objectifs britanniques.

Le système de Yalta

Après la défaite de la France en 1940, Churchill fait en sorte que l’alliance des puissances maritimes (Etats-Unis et Angleterre) se concentre prioritairement sur l’écrasement de l’Allemagne. Si l’Allemagne est totalement vaincue en 1945, la victoire est essentiellement russo-américaine. La Grande Bretagne joue désormais un rôle secondaire, elle n’est pas en mesure de maintenir son empire uni, n’a plus la force d’imposer l’équilibre des pouvoirs, et ne peut donc plus diriger le « concert européen » en solo&,nbsp ; elle compte néanmoins persuader les dirigeants américains d’incorporer les prémisses géopolitiques du système de Versailles dans le nouvel ordre de l’après-guerre, le système de Yalta. L’espace européen, ainsi que le territoire allemand, seront brutalement divisés par un « rideau de fer ». Le centre (le « coeur ») revient à l’empire russo-soviétique tandis que la « zone périphérique » ouest- et centre-europé-Unis, l’Angleterre maintiendra une certaine influence sur le destin de l’Europe. Encore aujourd’hui, l’Establishment diplomatique américain, de George Kennan à George Bush, en passant par Henry Kissinger, pense selon les catégories de Mackinder.

Les conceptions géopolitiques russo-soviétique n’étaient pas incompatibles avec cette nouvelle vision. Même au moment des épreuves de force les plus dramatiques de l’après-guerre, les règles de jeu de Yalta ont tenu. L’analyste politique Peter Gladkov de l’Institut des études USA-Canada disait avec raison que « l’honnêteté élémentaire veut que les deux puissances (USA et URSS) reconnaissent le fait qu’elles font tout ce qui est en leur pouvoir pour maintenir une Europe, ainsi qu’une Allemagne, divisée et dépendante ».

L’ambigüité de l’OTAN

La division de l’Europe et l’émergence des deux superpuissances dans le cadre de Yalta ont assuré la faiblesse des pays européens. L’Allemagne fut presque totalement mise à l’écart de 1945 à 1958 tandis que la puissance de la France diminuait constamment. Ceci allait changer sous de Gaulle, qui comprenait mieux que tous les autres dirigeants politiques, que l’OTAN était conçue dès le départ comme le cadre stratégique par lequel imposer à l’Europe de l’Ouest l’hégémonie anglo-américaine. Il retirera la France de l’organisation militaire intégrée en 1966 - non pas de l’alliance - lorsque les Etats-Unis lui refuseront sa juste part de responsabilité. Si l’OTAN représente d’une part l’institutionnalisation de la domination anglo-américaine dans les « zones périphériques », elle joue incontestablement en même temps un rôle d’endiguement et de dissuasion vis-à-vis de l’empire soviétique. Pour cette raison, on ne peut pas mettre sur le même plan la position hégémonique des Etats-Unis au sein de l’OTAN et celle de l’Union soviétique vis-à-vis des pays satellites. L’empire russo-soviétique imposera par la force et, le cas échéant, par l’agression, sa domination.

Il va sans dire que l’Union soviétique et les pays occidentaux ont constamment essayé - que ce soit pendant la « gueffe froide » ou pendant la « détente » - de modifier à leur propre avantage le rapport des forces en Europe. Mais en fin de compte, Moscou s’est montrée plutôt prudente et réservée à l’égard des pays membres de l’OTAN.

Un des principaux objectifs stratégiques de l’Alliance atlantique était de contrôler l’Allemagne. En 1955, l’Allemagne s’était vu accorder une souveraineté relative à condition qu’elle rejoigne l’OTAN. Rappelons la célèbre phrase du premier secrétaire général de l’Alliance, lord Ismay, qui déclarait sans ambages que la mission de l’OTAN était de « maintenir les Russes en dehors, les Américains au dedans, et les Allemands à genoux ». Paradoxalement, Mikhail Gorbatchev a confirmé ce rôle de l’OTAN en juillet 1990, en acceptant que l’Allemagne unifiée rejoigne l’alliance, car le dirigeant soviétique considérait cette adhésion non pas comme une menace pour l’union soviétique mais plutôt comme une assurance contre la montée en puissance de l’Allemagne.

L’affirmation politique de la France à partir de de Gaulle, le renforcement économique et aussi politique de l’Allemagne depuis Adenauer et la croissance du poids de la Communauté européenne n’ont pas fondamentalement changé les structures géopolitiques en Europe. Le système de Yalta est resté intact. Depuis que l’élite anglo-américaine s’est aperçue dans le milieu des années 80 que la crise économique et politique en Union soviétique risquait de bouleverser le statut quo dans toute l’Europe, elle a cherché à modifier le système de Yalta - non pas à y renoncer mais à en changer simplement la forme. Au plus tard en 1985, on discutait à Moscou et Washington des moyens d’« assouplir » la division de l’Allemagne, tout en la maintenant. On parlait de « désarmer » l’OTAN et le Pacte de Varsovie, sans mettre en question leur existence. On prévoyait, dans le cadre de la CSCE, le rapprochement politique des deux parties de l’Europe, mais seulement de façon progressive et strictement contrôlée par les deux superpuissances.

La Grande Bretagne n’était pas contre une modification du système de Yalta, à condition que ses structures fondamentales restent en place. La position de la France et de François Mitterrand était analogue. Le sommet Bush-Gorbatchev de décembre 1989 à Malte fut en quelque sorte la dernière tentative pour sauver le système de Yalta. Les changements révolutionnaires qui ont eu lieu de 1989 à 1991 en Europe de l’Est ont réduit à néant les plans de l’élite dirigeante à Londres, à Paris, et à Washington, comme ceux de la nomenklatura à Moscou. Il n’était plus possible de « modifier » le système de Yalta. Mais cela ne signifiait pas pour autant l’abandon de la géopolitique en Europe. Tout au contraire.

La géopolitique depuis 1989

La fin de la division de l’Europe et de l’Allemagne ouvrait la perspective d’une vaste coopération entre les économies dévastées d’Europe de l’Est et celles d’Europe occidentale et centrale. En termes géopolitiques classiques, le « coeur » continental pouvait joindre ses forces à la « zone périphérique » et réussir relativement vite et bien la reconstruction de l’Est. Dans cette perspective, Lyndon LaRouche proposait de créer un vaste réseau intégré d’infrastructures en Europe.

Dans la matrice géopolitique, une telle perspective était synonyme de cauchemar ; la reconstruction de l’Est menaçait d’affaiblir les puissances maritimes. Suivant les mêmes prémisses absurdes, il fallait empêcher la France, l’Allemagne et les pays successeurs de l’Union soviétique de se lancer dans un développement économique commun. Un grand espace de développement donnerait à l’Europe, pensait-on, un trop grand poids économique, au détriment des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, comme si les Etats-Unis ne pouvaient pas prendre part à la reconstruction eurasiatique et en tirer des bénéfices pour leur propre économie !

A Londres, Mme Thatcher, Douglas Hurd, Allan Clark, lord Ridley et Connor Cruise O’Brien ont décidé de revenir aux conceptions de Mackinder, datant d’avant 1914. Réaction similaire à New York et à Washington. La politique étrangère anglo-américaine s’est ainsi basée, de 1989 à 1992, sur la négation et l’obstruction de la reconstruction européenne.

Géopolitique contre stratégie

Avant d’exposer les grandes lignes de la géopolitique anglo-américaine telle qu’ellese présente depuis 1989, esquissons en contraste ce que serait une stratégie raisonnable, conforme à l’ordre naturel des choses. Ce faisant, l’irrationalité des postulats de la géopolitique apparaîtra encore plus clairement.

A la différence de la géopolitique, la stratégie se fonde sur une évaluation qui tient compte des facteurs culturels, politiques, sociaux, techniques, économiques, et ensuite seulement des facteurs politiques et géographiques. De là, la stratégie définit les objectifs d’un Etat ou d’une alliance d’Etats en prenant pour référence le développement optimal de ses potentiels intellectuels et matériels. Enfin, la stratégie établit les moyens avec lesquels elle se réalisera. La stratégie commence donc par un « état des lieux », pour définir ensuite des objectifs, et un plan. Cette notion de stratégie a été élaborée du point de vue de ce que nous appellerons ici la loi naturelle, par Lyndon LaRouche. Les objectifs de toute stratégie efficace et stable dans le temps doivent, selon La Rouche :

s’inspirer de la conception chrétienne de l’homme à l’image de Dieu, qui considère l’homme comme « co-créateur » avec Dieu, et contribuant à poursuivre le processus de la Création. Dans cet esprit, la société et l’Etat sont responsables du développement intellectuel et matériel de ses membres ;
favoriser le progrès scientifique et technique qui est la condition préalable de l’augmentation de la densité démographique potentielle par unit& de surface, et qui permet de définir constamment de nouvelles ressources et d’assurer par la progression constante du niveau de vie - intellectuelle et matérielle - le développement continu de la science et de la technique ;
respecter le principe d’une communauté de principe , entre nations, régie en conformité avec la loi naturelle ;
défendre les principes de gouvernement républicain et de souveraineté nationale.
En développant la notion de communauté de principe, LaRouche reprend et développe, pour les relations internationales, les conceptions de Leibniz concernant la loi naturelle. S’opposant à Thomas Hobbes, pour qui les relations « naturelles » entre les individus se résument au « chacun pour soi », Leibniz affirme que l’intérêt primordial de chaque Etat est de voir les autres Etats se développer au maximum. Chaque Etat doit oeuvrer de son côté au développement maximal des potentiels intellectuels et matériels de sa propre population, de façon à pouvoir ensuite former, avec d’autres Etats ayant eu le même privilège, une communauté de principe fondée sur un développement mutuel. La géopolitique se caractérise en grande partie par le rejet de la notion de développement mutuel.

Le « Quatrième Reich »

Après la chute du mur de Berlin, une campagne de presse a été lancée en Grande Bretagne, aux Etats-Unis et en France. Elle tournait autour de quatre thèmes récurrents :

La réunification allemande va mener à l’émergence d’un « Quatrième Reich », qui dorninera toute l’Europe d’abord sur le plan économique, puis politique et militaire ;
L’Allemagne unifiée va détruire l’équilibre des pouvoirs en Europe, provoquant par là de nouveaux conflits et tensions, comme avant la Première guerre mondiale ;
Entre l’Allemagne et l’Union soviétique en pleine crise, un nouveau pacte de « Rapallo » anti-occidental va être conclu ;
Le nationalisme « pan-germanique », le racisme et, ensuite l’expansionnisme vont se répandre comme un feu de brousse dans l’Allemagne unifiée.
Cette campagne menée par des journaux « sérieux » en Angleterre, en France et aux Etats-Unis a coïncidé avec une diplomatie hyperactive qui a abouti, entre la fin de 1989 et le milieu de 1990, à un endiguement géopolitique de l’Allemagne et de la Russie.

Dix-neuf jours après la chute du mur, le chef de la Deutsche Bank Alfred Herrhausen fut abattu par de prétendus terroristes qu’on n’a jamais retrouvés. Herrhausen, qui jouissait d’une grande influence et d’un pouvoir économique important, défendait une stratégie de coopération étroite entre l’Est et l’Ouest pour la reconstruction des infrastructures et des économies à l’Est. Il s’était prononcé contre la politique monétariste du Fonds monétaire international en Europe de l’Est et en Union soviétique. Le « message » que son assassinat a livré au monde correspondait aux objectifs de la stratégie d’endiguement géopolitique anglo-américaine : éviter la création d’un espace économique « de l’Atlantique à I’OuraI ». Après la mort de Herrhausen, les dirigeants politiques et économiques de Bonn ont effectivement laissé au FMI le soin de déterminer les réformes économiques à l’Est. La « thérapie de choc » administrée depuis lors en Europe de l’Est et dans l’ancienne Union soviétique a fini par achever l’économie réelle, les infrastructures, et par provoquer une hyperinflation et une misère de masse. Pour appliquer la thérapie de choc, on s’est appuyé sur des éléments influents de la nomenklatura soviétique. Les capacités économiques en Europe de l’Est, déjà saignées à blanc sous le communisme, ont encore chuté d’au moins 50 % depuis la fin des années 80.

Le consensus répandu au sein de l’Estabilshment anglo-américain, veut que les Etats-Unis et la Grande Bretagne se concentrent d’ici la fin du siècle sur la réduction de l’endettement public et privé. Pendant cette longue période de « consolidation » de la dette, il n’y aura pas de reprise de l’économie réelle. En effet, une reprise ne pourrait réussir que si l’immense dette était gelée pour permettre aux Etats d’émettre des crédits productifs pour l’infrastructure, l’industrie et la formation des travailleurs. En l’absence d’une telle perspective, la logique veut que si les puissances anglo-américaines se privent de développement économique pendant cette période, tous les autres pays doivent faire de même. C’est pourquoi toutes les tentatives de lancer une reconstruction à l’échelle de l’Europe ont été torpillées. Les effets catastrophiques de la thérapie de choc ne sont pas le résultat d’une erreur de jugement ou de calcul. Ils ont été voulus. L’intention était de maintenir la Russie, l’Ukraine, et les autres pays d’Europe de l’Est dans une position permanente de faiblesse.

La situation à l’Est fait que la sécurité en Europe de l’Ouest est également menacée. Le déclin économique, social et culturel mène forcément à la « poursuite de la politique par d’autres moyens », à savoir les conflits, les guerres civiles, et les migrations de masse. Cette situation renforce à son tour la dépendance militaire de l’Europe, notamment vis-à-vis de la super-puissance nucléaire américaine.

La guerre des Balkans

Considérons maintenant brièvement « Ie » grand exploit stratégique de George Bush après 1989. Entre l’été 1990 et le printemps 1991, les ressources économiques et politiques de l’Europe ont été détournées de leur destination urgente en Europe de l’Est et absorbées par la Guerre du Golfe. Le gouvernement Bush, qui avait soutenu pendant des années le régime de Saddam Hussein, a tendu un piège dans lequel le président irakien est tombé pieds et poings liés, en envahissant le Koweit. Le 4 août 1990, l’International Herald Tribun publiait un éditorial intitulé « Mise en garde à l’Europe" : « Pour l’Europe, l’invasion du Koweit est un choc. ( ... ) Si l’Europe pensait pouvoir suivre sa propre voie vers un avenir sans souci, le 2 août 1991 lui a brutalement rappelé la réalité . »

Quatre mois après la fin de la guerre du Golfe, la guerre des Balkans a éclaté. Evidemment, les causes de la guerre dans l’ancienne Yougoslavie sont aussi intérieures et relèvent de conflits historiques. Mais ce n’est qu’une partie de la vérité. Depuis la fin du XIXème siècle, la Serbie a été « poussée » par la France, la Grande Bretagne et la Russie comme contre-poids géopolitique à l’Allemagne et à la monarchie habsbourgeoise. La domination brutale des Serbes sur les autres peuples slaves du Sud a été promue après 1918 précisément dans ce but. L’attitude des gouvernements britannique, français et russe aujourd’hui se situe dans le droit fil de cette pensée. Le ministre soviétique de la Défense d’alors, Dimitri lasov, le secrétaire d’Etat américainjames Baker, et les gouvernements de Margaret Thatcher et de François Mitterrand ont encouragé les dirigeants serbes à s’opposer militairement à l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie. Au printemps 1992, le même feu vert a été donné pour la conquête de la Bosnie. Depuis deux ans, les négociations internationales sans fin (sous Carrington, ou Vance et Owen) ont permis à la Serbie de poursuivre et d’élargir sa guerre d’agression. Devant le génocide, les crimes de guerre et les pires vagues de réfugiés depuis la Deuxième guerre mondiale, l’Europe est restée paralysée.

La guerre dans l’ancienne Yougoslavie illustre les conséquences de la doctrine géopolitique. Outre les Balkans, un dangereux arc de crises eurasiatiques se dessine partant de la Baltique, traversant la Moldavie et le Caucase, et aboutissant dans les républiques d’Asie centrale de l’ancienne URSS. Dans l’ensemble de l’ex-territoire soviétique, un processus de « weimarisation » avance à pas de géant. On peut affirmer sans beaucoup se tromper que si les préceptes géopolitiques suivis par Londres et Washington depuis 1989 continuent à être suivis, l’Europe connaitra en cette fin du siècle les conditions d’une nouvelle guerre de Trente ans. Celle-ci pourrait mener à une Troisième guerre mondiale. Il est urgent de dénoncer et de rejeter les prémisses géopolitiques de la politique occicientale. Margaret Thatcher et George Bush ont quitté la scène. Il doit en être de même de leur conception géopolitique.

Michael Leibig
Nouvelle Solidarité, mars 1992

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